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Le Misanthrope
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« Quelle mâle gaieté, si triste et si profonde
Que lorsque l’on vient d’en rire l’on devrait … en pleurer! »
– Alfred de Musset au sujet du « Misanthrope » de Molière –
« Le Misanthrope« est une comédie de Molière en cinq actes et en vers, créée le sur la scène du Palais-Royal. Le sous-titre en est: «L’Atrabilaire amoureux». Le texte complet de la pièce est, par exemple, lisible ici.
Le sujet de la pièce est un personnage nommé Alceste qui méprise l’humanité tout entière. Il en dénonce l’hypocrisie, la couardise et la compromission. La couardise est le comportement méprisable de ceux qui se laissent dicter leur comportement par la peur. La compromission est le comportement de ceux qui transigent avec la Loi, la Vérité, l’Honneur. Paradoxalement, alors qu’il est aimé d’Arsinoé, la prude (la pruderie est une caricature intellectuelle de la vraie pudeur, qui est un ressenti spirituel), et d’Éliante, la sincère (la sincérité est une qualité consistant à exprimer franchement ce que l’on ressent intérieurement), il aime passionnément Célimène, une veuve de 20 ans, coquette, superficielle et médisante.
En soi la misanthropie – c’est-à-dire le fait de détester les êtres humains et donc le contraire de la philanthropie – n’est guère recommandable, cela semble être le contraire de l’Amour. Mais c’est le talent de Molière d’arriver ici à rendre sympathique un homme qui, en apparence, déteste le genre humain. Au-delà de son apparence de « misanthrope », Alceste recèle, en fait, en lui une exigence de vérité et de sincérité dans les relations humaines qui, elle, est certainement à saluer…
En réalité, ce n’est pas qu’Alceste déteste les êtres humains ou le genre humain en tant que tel(s), ce qu’il déteste véritablement, c’est l’hypocrisie, les faux-semblants, les compromissions, les apparences, la fausseté très répandus dans la société qui l’entoure, d’une façon générale. C’est largement vrai dans la société actuelle, cela l’était déjà à son époque. En ce sens il ressemble à Cyrano de Bergerac, tel qu’il se décrit, juste avant sa mort, dans la dernière scène du dernier acte.

Roxane – Cyrano de Bergerac – École Européenne
La pièce commence par une dispute entre Alceste et son ami Philinte (nom qui veut dire « qui aime »). Alceste semble chercher le conflit avec tout le monde, alors que Philinte est bien plus conciliant et même accomodant. Aux autres il cherche plutôt des excuses. Alceste et Philinte sont amis (leur amitié est réelle), mais – pour désigner leur relation – Alceste refuse ce mot. Reprochant à son ami Philinte de se livrer à la flatterie, Alceste condamne les faux-semblants de la société mondaine. Refusant le faux « esprit de conciliation » invoqué par Philinte, il déclare que tous les êtres humains sont haïssables.
Les caractères d’Alceste et de Philinte
Il est emporté, excessif, colérique. Il s’excite et s’énerve, il râle constamment; il ne sait pas faire montre de pondération. Emporté par son {mauvais} caractère et son bouillant tempérament, il ne possède pas la « paisible pondération de l’esprit mûr ». Obstiné, il ne démord pas de ce qu’il dit et ne change jamais d’opinion, tout en faisant volontiers la leçon aux autres.
Il peut être qualifié de « pessimiste », mais – en réalité – il l’est moins que Philinte. Philinte, en effet, pense que les êtres humains sont incorrigibles – et c’est aussi pour cela que cela ne vaut pas la peine de se brouiller avec eux pour essayer de les faire changer, alors qu’Alceste, lui, les admoneste dans le but de les faire se corriger. De ce fait, il pense que la nature humaine est perfectible; de ce point de vue, au sujet de la nature humaine, il est plus optimiste que son ami Philinte.
Il refuse – sans concessions ni compromissions – les défauts des êtres humains. Sa morale est donc la même que celle de Blaise Pascal: «L’homme n’est ni Ange ni bête, mais le malheur veut que Qui veut faire l’Ange fait la bête.». Alors que morale de Philinte est plutôt: «La parfaite raison fuit toute extrémité, et veut que l’on soit sage avec sobriété.». Alceste est donc un « misanthrope ». Cette misanthropie s’exprime par sa phrase: «L’ami du genre humain n’est point du tout mon fait.».
Souvent ridicule, il est toujours dans la démesure, tenant des propos extrêmes accompagnés de gestes brusques. L’on aurait presque pitié de lui. En ce sens, c’est un authentique personnage comique. Alceste dit des sottises qui le rendent comique. Mais, dans ce qu’il dit, il a aussi fréquemment raison, même si l’on se moque souvent de lui. C’est donc aussi un personnage tragique.
Alceste croit qu’il dit vrai. Il dit: «Je veux qu’on me distingue». Il sait que l’hypocrisie est une caractéristique des êtres humains de son milieu social et de son temps, et, avec raison, il s’en indigne. Il cherche à provoquer les autres, il s’oppose à à peu près tout, il dit le contraire de tous les autres; son retrait hors de ce monde faux est donc la seule issue logique…
A l’inverse, Philinte est paisible, calme, modéré, tolérant et même conciliant, mais, dans le fond, plus pessimiste qu’Alceste. Il pense qu’Alceste ne peut pas, à lui seul, corriger le monde et la société. Selon lui, la bile noire que se fait l’atrabilaire Alceste et sa mauvaise humeur sont les caractéristiques de son mal-être, et c’est aussi ce qui – au-delà du tragique – le rend comique. L’absolutisme d’Alceste tranche dans un monde où les Valeurs sont devenues très relatives.
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Le Misanthrope de Molière – Alceste
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Résumé de la comédie dramatique
Acte 1
Dans le salon de Célimène, Alceste, le misanthrope, reproche à son ami Philinte sa complaisance et l’amabilité artificielle qu’il témoigne à tous ceux qui se trouvent sur son chemin. Il plaide pour une totale sincérité en toutes circonstances et critique de façon acerbe l’hypocrisie et les politesses intéressées. Ce combat qui est le sien et qu’il a toutes les chances de mener en pure perte, lui fait éprouver un grand dégoût vis-à-vis de l’humanité. Philinte s’étonne qu’avec de tels principes, son ami Alceste puisse être épris de la coquette et superficielle Célimène. Sincère jusqu’au bout, Alceste avoue à son ami qu’il vient justement voir Célimène afin d’avoir avec elle une discussion déterminante. Arrive alors Oronte, un gentilhomme vaniteux avec des prétentions littéraires venu demander l’opinion d’Alceste au sujet d’un sonnet dont il est l’auteur. Alceste se retient aussi longtemps qu’il en ait capable, mais, après quelques tergiversations, il formule soudain son verdict avec une franchise dépourvue de ménagement: ce sonnet ne vaut pas un clou. Autrement dit: « Il est bon à mettre au cabinet. ». C’est désormains inévitable: C’est la brouille, les deux hommes se fâchent.
Acte 2
Alceste a une conversation orageuse avec Célimène, la coquette. Il lui reproche ses très nombreux prétendants. Malgré cela, Célimène l’assure de son amour, mais Alceste pique une crise de jalousie. Froissée, Célimène coupe court à la conversation. Un valet annonce alors l’arrivée d’Acaste et de Clitandre, deux « petits marquis ». Leurs médisances « inspirent » Célimène, qui dresse avec verve et cynisme un portrait plutôt drôle de plusieurs absents. Ce qui lui vaut un certain succès auprès de ses visiteurs. Alceste reproche à ces deux importuns de flatter l’humeur railleuse de Célimène, et se couvre de ridicule. Il est bien décidé à attendre le départ de ces marquis, mais un garde fait son apparition: la querelle avec Oronte s’est envenimée, de sorte qu’Alceste est maintenant convoqué au tribunal des maréchaux.
Acte 3
Acaste se montre très satisfait de lui et confie à Clitandre la fierté qu’il éprouve de se sentir autant aimé par Célimène. Ils se découvrent rivaux auprès de Célimène et tous deux sont convaincus de pouvoir rapidement apporter la preuve que c’est bien chacun d’eux (et non l’autre) qui est aimé par Célimène. Ils s’engagent mutuellement à être loyaux: celui qui, le premier des deux, obtiendra à cet égard une preuve décisive pourra exiger de l’autre qu’il se retire de la compétition. Célimène revient et on la prévient de l’arrivée de la prude Arsinoé. Avec une complicité faussement charitable, Arsinoé informe Célimène de la fâcheuse réputation que lui vaut sa coquetterie. Célimène lui répond sur le même ton, en lui faisant savoir que sa pruderie et son austérité ne sont guère appréciées. Piquée au vif, Arsinoé – pas aussi douée que Célimène pour les effets oratoires – bat en retraite et profite d’un tête-à-tête avec Alceste, qu’elle aime en secret, pour tenter de le détourner de sa rivale: elle lui promet de lui apporter la preuve de la trahison de Célimène.
Acte 4
Éliante, cousine de Célimène, et Philinte discutent d’Alceste et évoquent son caractère très spécial. Éliante avoue à Philinte qu’elle aime Alceste et Philinte lui avoue, de son côté, que tout en respectant les sentiments qu’elle éprouve pour son ami, il espère qu’un jour elle l’aimera, lui, comme lui l’aime. Alceste, de son côté, est révolté par une lettre que Célimène a adressée à Oronte et qu’Arsinoé lui a montrée. Se croyant trahi par celle qu’il aime, il se tourne vers Éliante et lui demande de l’épouser. Célimène parait. Elle subit les plaintes de son amant qui l’accuse de trahison mais parvient à retourner la situation en sa faveur. La colère d’Alceste finit par se transformer en déclaration d’amour. Leur réconciliation est interrompue par l’arrivée d’un valet qui vient requérir Alceste de toute urgence, en l’informant des préjudiciables conséquences de son procès.
Acte 5
Alors qu’il avait toutes les raisons de gagner son procès, Alceste l’a, en effet, perdu. Écœuré, il décide de définitivement renoncer à la compagnie des êtres humains mais souhaite quand même avoir une dernière entrevue avec Célimène. Apparaissent Oronte et Célimène. Alceste se joint à son rival pour exiger de la jeune femme qu’elle choisisse entre eux deux. Puis c’est au tour d’Acaste et de Clitandre, accompagnés d’Arsinoé. Ils se sont mutuellement montrés la lettre qu’ils ont chacun reçue de Célimène et où, à tour de rôle, elle tourne en dérision chacun d’entre eux. La lecture de ces lettres confond Célimène. Clitandre, Acaste et Oronte se retirent en l’accablant de tout leur mépris. Alceste, toutefois, accepte, lui, de lui pardonner, à condition qu’elle s’engage à le suivre, dans sa retraite, loin du « monde ». Bien évidemment, Célimène refuse. A la suite de quoi Alceste part seul, non sans avoir, auparavant, donné sa bénédiction au mariage d’Éliante avec Philinte.
Extraits
Acte IV Scène III
Alceste et Célimène
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Le Misanthrope – Personnages du Misanthrope de Molière – Pierre Gustave Eugène – Au premier plan: Alceste et Célimène – En arrière-plan, à droite: Philinte et Eliante
Alceste
Ciel! rien de plus cruel peut-il être inventé?
Et jamais cœur fut-il de la sorte traité?
Quoi? d’un juste courroux je suis ému contre elle,
C’est moi qui me viens plaindre, et c’est moi qu’on querelle!
On pousse ma douleur et mes soupçons à bout,
On me laisse tout croire, on fait gloire de tout;
Et cependant mon cœur est encore assez lâche
Pour ne pouvoir briser la chaîne qui l’attache,
Et pour ne pas s’armer d’un généreux mépris
Contre l’ingrat objet dont il est trop épris!
Ah ! que vous savez bien ici, contre moi-même,
Perfide, vous servir de ma faiblesse extrême,
Et ménager pour vous l’excès prodigieux
De ce fatal amour né de vos traîtres yeux!
Défendez-vous au moins d’un crime qui m’accable,
Et cessez d’affecter d’être envers moi coupable;
Rendez-moi, s’il se peut, ce billet innocent:
A vous prêter les mains ma tendresse consent;
Efforcez-vous ici de paraître fidèle,
Et je m’efforcerai, moi, de vous croire telle.
Célimène
Allez, vous êtes fou, dans vos transports jaloux,
Et ne méritez pas l’amour qu’on a pour vous.
Je voudrais bien savoir qui pourrait me contraindre
A descendre pour vous aux bassesses de feindre,
Et Pourquoi, si mon cœur penchait d’autre côté,
Je ne le dirais pas avec sincérité.
Quoi? de mes sentiments l’obligeante assurance
Contre tous vos soupçons ne prend pas ma défense?
N’est-ce pas m’outrager que d’écouter leur voix?
Et puisque notre cœur fait un effort extrême
Lorsqu’il peut se résoudre à confesser qu’il aime,
Puisque l’honneur du sexe, ennemi de nos feux,
S’oppose fortement à de pareils aveux,
L’amant qui voit pour lui franchir un tel obstacle
Doit-il impunément douter de cet oracle?
Et n’est-il pas coupable en ne s’assurant pas
A ce qu’on ne dit point qu’après de grands combats?
Allez, de tels soupçons méritent ma colère,
Et vous ne valez pas que l’on vous considère;
Je suis sotte, et veux mal à ma simplicité
De conserver encor pour vous quelque bonté;
Je devrais autre part attacher mon estime,
Et vous faire un sujet de plainte légitime.
Alceste
Ah ! traîtresse, mon faible est étrange pour vous!
Vous me trompez sans doute avec des mots si doux;
Mais il n’importe, il faut suivre ma destinée:
A votre foi mon âme est toute abandonnée;
Je veux voir, jusqu’au bout, quel sera votre cœur,
Et si de me trahir il aura la noirceur.
Célimène
Non, vous ne m’aimez point comme il faut que l’on aime.
Alceste
Ah! rien n’est comparable à mon amour extrême;
Et dans l’ardeur qu’il a de se montrer à tous,
Il va jusqu’à former des souhaits contre vous.
Oui, je voudrais qu’aucun ne vous trouvât aimable,
Que vous fussiez réduite en un sort misérable,
Que le Ciel, en naissant, ne vous eût donné rien,
Que vous n’eussiez ni rang, ni naissance, ni bien,
Afin que de mon cœur l’éclatant sacrifice
Vous pût d’un pareil sort réparer l’injustice,
Et que j’eusse la joie et la gloire, en ce jour,
De vous voir tenir tout des mains de mon amour.
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Le Misanthrope – Célimène – Alexandre Marie Colin
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Scène IV, Acte V
J’en saurai, dans mon âme, excuser tous les traits,
Et me les couvrirai du nom d’ une faiblesse
Où le vice du temps porte votre jeunesse,
Pourvu que votre cœur veuille donner les mains
Au dessein que j’ai fait de fuir tous les humains,
Et que dans mon désert, où j’ai fait vœu de vivre,
Vous soyez, sans tarder, résolue à me suivre:
C’est par là seulement que, dans tous les esprits,
Vous pouvez réparer le mal de vos écrits,
Et qu’après cet éclat, qu’un noble cœur abhorre,
Il peut m’être permis de vous aimer encore.
Et dans votre désert aller m’ensevelir!
Alceste.
Et s’il faut qu’à mes feux votre flamme réponde,
Que vous doit importer tout le reste du monde?
Vos désirs avec moi ne sont-ils pas contents?
Célimène.
La solitude effraye une âme de vingt ans:
Je ne sens point la mienne assez grande, assez forte,
Pour me résoudre à prendre un dessein de la sorte.
Si le don de ma main peut contenter vos vœux,
Je pourrai me résoudre à serrer de tels nœuds;
Et l’hymen…
Alceste.
Non: mon cœur à présent vous déteste,
Et ce refus lui seul fait plus que tout le reste.
Puisque vous n’êtes point, en des liens si doux,
Pour trouver tout en moi, comme moi tout en vous,
Allez, je vous refuse, et ce sensible outrage
De vos indignes fers pour jamais me dégage.
– Le Misanthrope – Molière – Acte 5, scène 4 (extrait). –
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Alceste
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Un personnage rempli de contrastes et contradictions
Alceste déclame ses chagrins, et fait preuve d’une singulière étrangeté. Il surprend tout son monde en affirmant qu’il ne veut rien tant qu’être seul sur scène, ou partir («Moi, je veux me fâcher, et ne veux point entendre.»). Et l’on voit, à la fin de l’acte V – donc à la fin de la pièce -, qu’Alceste sait tirer les conclusions de sa déclaration première puisque, pour finir, il quittera lui-même la scène pour se réfugier dans un «désert» solitaire, absolu et non-théâtral («Trahi de toutes parts, accablé d’injustices, / Je vais sortir d’un gouffre où triomphent les vices; / Et chercher sur la Terre un endroit écarté, / Où d’être homme d’honneur on ait la liberté.»).
Alceste et l’amour
La deuxième étrangeté d’Alceste consiste en son amour paradoxal: Alceste, qui veut qu’on soit vrai et sincère, aime précisément celle qui correspond le moins à ses goûts théoriques – puisque Célimène est l’incarnation même de la coquette, frivole et superficielle –, et n’aime pas celle qu’il devrait admirer: la prude Arsinoé. Pire que cela, il aime Célimène pour ses péchés, tout en voulant ne pas l’aimer, et préférerait, comme le dit la chanson (Acte I, Scène 2), « abandonner Paris plutôt que sa maîtresse ».
A ce propos, la question qui, à ce stade – d’un point de vue spirituel -, se pose est donc: Ce qu’Alceste éprouve pour Célimène est-il un véritable Amour? A l’évidence, la réponse est non. Pourquoi? Son « amour » pour Célimène est, à l’évidence, un amour sentimental. Il n’est que de considérer ce qu’il dit (déjà cité ci-dessus) pour s’en rendre compte. Relisons cet extrait, en considérons tout spécialement les passages en rouge:
« Ah! rien n’est comparable à mon amour extrême;
Et dans l’ardeur qu’il a de se montrer à tous,
Il va jusqu’à former des souhaits contre vous.
Oui, je voudrais qu’aucun ne vous trouvât aimable,
Que vous fussiez réduite en un sort misérable,
Que le Ciel, en naissant, ne vous eût donné rien,
Que vous n’eussiez ni rang, ni naissance, ni bien,
Afin que de mon cœur l’éclatant sacrifice
Vous pût d’un pareil sort réparer l’injustice,
Et que j’eusse la joie et la gloire, en ce jour,
De vous voir tenir tout des mains de mon amour.«
Et non un amour spirituel, lequel ne veut – à tous points de vue – que le Bien et le Bonheur de l’être aimé, même si le propre renoncement du supposé « Aimant » devient nécessaire! En ce cas, nous en sommes assez loin! Alceste doit encore apprendre à aimer de façon pure et désintéressée.
A la fin de la pièce, l’on voit ainsi que, ne pouvant réformer sa maîtresse et échouant à la garder – puisqu’elle refuse de le suivre dans sa retraite –, il devra quitter Paris et sa maîtresse.
Autre paradoxe: Paradoxal et colérique, ce personnage qui entre sur le plateau pour faire le vide – il ne veut que parler à Célimène, et n’y parvient, en fait, qu’à la fin de la pièce – n’est pas un «révolutionnaire»: il est vêtu en jeune courtisan, en honnête homme de salon, mais apparaît pourvu d’une aptitude extraordinaire à résister au monde auquel il appartient, comme s’il cherchait une vérité là où elle ne peut être.
Enfin, devant Philinte, son ami raisonneur partisan de l’attitude moyenne («Le monde par vos soins ne se changera pas.»), Alceste ne veut rien entendre. Il s’enferme dans son amour impossible, comme dans son refus radical d’être là où il est. En cela il plaît et fait rire autour de lui, parce que cette somme de paradoxes sonne comme autant de ridicules. Bien souvent, les êtres humains ne se laissent dire la Vérité que sous forme de comédies amusantes!
D’un point de vue spirituel
Parmi les différents thèmes soulevés par la pièce « Le Misanthrope » de Molière l’un des plus importants est la situation d’un être humain aspirant à la Clarté, à l’Authenticité, à la Sincérité, à la Franchise, à la Vérité des situations, des êtres et des choses, à l’Ascension spirituelle et à la Lumière, confronté à l’hypocrisie, au vide spirituel et à la médiocrité de son entourage. Que doit-il faire? Est-il juste de complètement se retirer du « monde » et de la société des êtres humains – comme le fait Alceste -, ou bien y a-t-il une autre solution?
L’objectif d’Alceste, il l’exprime ainsi: «Trahi de toutes parts, accablé d’injustices, / Je vais sortir d’un gouffre où triomphent les vices; / Et chercher sur la Terre un endroit écarté, / Où d’être homme d’honneur on ait la liberté.». Le premier n’est spirituellement pas juste: Même si la trahison existe, l’injustice, elle, n’existe pas. Seul le karma existe. Donc personne n’a à se plaindre, Alceste, non plus. Par contre – dès lors où cela est sincère -, vouloir s’extraire « d’un gouffre où règnent les vices » est louable, de même que vouloir être un véritable homme d’honneur.
Lorsque la domination de l’intellect et du sentiment associée à l’affadissement spirituel, devient la marque d’une société, de sorte que l’espoir d’un redressement n’existe plus, un renoncement au monde au moins temporaire permet à un être humain individuel de poursuivre son évolution spirituelle.
Renoncer au monde et donc se détourner des autres êtres humains dans le But de se préserver de la régression spirituelle ne devient nécessaire qu’à cause de la domination de l’intellect, qui – lorsqu’il n’est pas sous la maîtrise de l’esprit – devient l’ennemi de l’esprit. Face à l’affadissement spirituel croissant de la société, la seule protection possible est effectivement le retrait. Toutefois, lors d’une Évolution générale normale d’un peuple ou d’une nation, ce n’est absolument pas indispensable.
L’on peut même dire qu’un être humain qui, en ce qui concerne son Évolution spirituelle, a atteint un certain degré, alors il doit – tout comme un oiseau doit continuer à battre des ailes pour ne pas tomber -, pour s’y maintenir, de nouveau s’efforcer, sinon – étant donné que ce qui n’avance pas recule – la stagnation s’installe, et ainsi la possibilité d’une Évolution ultérieure cesse rapidement. Et après la stagnation, c’est même la régression, qui, probablement, risque de s’installer… Et c’est pour cela que, de façon générale, la vie en société est nécessaire. Si le monde terrestre et la société des humains de la Terre ne nous concernait plus, nous n’y serions pas réincarnés.
En résumé et en conclusion, un retrait – le temps nécessaire – d’une société profondément décadente pour s’empêcher de sombrer avec elle est juste un salutaire réflexe d’autoprotection spirituelle. L’on ne doit pas pour autant considérer la vie hors du monde, la vie cloîtrée ou la vie d’ermite comme la vie naturelle normale destinée à promouvoir l’Ascension spirituelle. Si la société d’origine persiste dans sa décadence, la solution sera – si possible – d’en façonner une autre avec d’autres êtres humains aspirant à l’Idéal … « dans un endroit écarté »…
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Le Misanthrope de Molière
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