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Perspectives
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Par Hermann Lohr
Introduction de L’Ecole de L’Art de Vivre
Regarder le monde avec un autre œil, voilà la caractéristique d’un esprit en éveil. Mais il ne s’agit pas seulement de regarder, il nous faut « descendre dans l’arène » et ne pas seulement demeurer sur les gradins, en proie au syndrome du spectateur. Sans quoi, à être le spectateur de sa vie et de celle des autres (position intellectuelle confortable), on demeure à côté de la vraie vie et l’on se prive de ce qui fait la valeur de la vie: l’Amour.
La retransmission de l’expérience vécue
Quelqu’un veut-il relater une profonde expérience vécue? En ce cas il lui faut avoir recours à son intellect, qui la ramènera à des normes rétrécies. Plus est grande la faculté d’une personne à restituer à un lecteur son expérience, plus éminent est son don d’artiste.
Mais à son lecteur, il ne peut jamais offrir son expérience dans toute sa profondeur. Son devoir consiste alors à sonder les âmes nobles. Il faut, à celles-ci, par la suite, poursuivre isolément plus avant, car celui qui ne se contente que de lire subordonne le monde de ses pensées à celui d’un autre. Celui qui se contente seulement de la rétrospective dune expérience, quelle que soit la forme de cette rétrospective, se prive de sa propre expérience, donc de la chose la plus importante de la vie. II reste ainsi à l’écart de ce qu’il rencontre et ne touche jamais son être.
L’Apocalypse à la TV
Un tel lecteur est semblable au visiteur d’une ménagerie qui trouve, entre le lion et lui-même, une grille de protection. Et, dans notre civilisation actuelle, partout des grilles sont érigées. Vient-on à remarquer dans les journaux une recrudescence d’événements saisissants que, peu a peu est érigée une grille de protection contre le sentiment de sympathie que nous éprouvons. Sommes-nous totalement différents de ce bourgeois a qui Goethe fait dire:
« Je ne me sens jamais si bien qu’un jour de fête au Soleil,
Au cours d’une conversation sur la guerre et ses clameurs
Lorsque là-bas en Turquie les peuples s’entretuent (*) 1
On reste à la fenêtre, savourant son petit verre,
Regardant couler le fleuve et glisser les bateaux bariolés
Puis on regagne sa maison, bénissant la tranquillité et le temps de paix. »
Mais Goethe lui-même était-il si différent? A-t-il répondu à la question de savoir s’il aurait fallu qu’une telle pratique le gêne? L’effort de notre humanité consiste à se mettre, autant que possible, hors d’atteinte de tout ce qui est désagréable. Nous nous esquivons devant l’expérience à faire.
La science tueuse de vie
Notre effort de recherche de la connaissance est-il si grand qu’il nous saisisse au plus profond de nous-mêmes? Nous disons que toute notre connaissance repose sur la perception et nous employons l’expérience physique pour trouver avec l’intellect, la grande unité de la nature. La vibration d’ensemble, le concours de la particule structurale la plus infime de la matière, bref, ce que l’on pourrait nommer sa vie dans la signification transmise, sera anéanti par un examen aussi approfondi
Nous conduisons-nous autrement lorsque nous cherchons à comprendre la vie des plantes dans lesquelles nous effectuons des coupes microscopiques et que nous en considérons avec étonnement les pièces détachées et agrandies de façon gigantesque? Ici aussi nous parvenons a détruire ce que, toujours et toujours, nous cherchons, ce qui, pour nous, est plein de signification, c’est-à-dire la vie.
« Qui veut distinguer ce qui est vivant et le décrire,
Cherche seulement à en faire fuir l’esprit.
Il a alors en main la partie
A laquelle manque malheureusement le lien de l’esprit. »
Qu’en est-il des recherches sur la vie sentimentale humaine? {Celui} qui ressent de la joie et veut l’examiner, doit pour cela diriger son intellect dessus, ce qui a pour résultat que l’objet de l’expérimentation, la joie, disparaît.
Limitations de l’outil intellectuel
Le temps ne serait-il pas venu d’assigner l’intellect le rôle qui lui revient, à savoir uniquement celui d’un outil?
Dans de nombreux cas, seul le renoncement a déjà rendu possible un progrès de la Connaissance.
Mais – pouvons-nous encore prendre l’autre chemin? Nous est-il encore possible, a nous, êtres humains d’aujourd’hui, de nous concentrer à ce point qu’un savoir évident et qu’une compréhension spirituelle en résultent? Que nous ne le puissions pas et c’est la malédiction du Paradis perdu, le détournement de Dieu et l’assujettissement de l’intellect au « tu-sais-mieux ».
Au cours du temps nous pourrions bien avoir appris que, en plus de notre moi, nous devons donner quelque chose de notre origine intime, si nous ne voulons pas nous satisfaire des choses extérieures.
Notre recherche sait que, pour finir, il arrive toujours un moment où elle ne peut plus rien affirmer sur l’enquête elle-même, par exemple sur la lumière (au sens physique) mais seulement sur la course de la lumière et sur l’appareillage expérimental. Une fois arrivés là, on n’est plus loin de conclure que si, en fin de compte, l’être humain veut enfin se connaitre, il lui faut lui-même s’installer dans sa recherche et qu’il ne peut trouver ce qu’il cherche que dans son propre for intérieur, qu’il se doit alors d’introspecter.
Cela veut dire qu’il doit s’efforcer d’établir une distinction entre l’humilité et l’amour, être prêt à chaque instant à tenir le langage le plus élevé et à donner la réponse. Ce faisant, il ne trouvera pas seulement la solution mais aussi la rédemption.
Ce qui marche le mieux est ce qui nous est le moins connu
L’organisme humain accomplit le plus secret des travaux sans que l’intellect doive pour cela le guider. Moins nous sommes tenus au courant de ses activités de façon compréhensible, plus celles-ci se déroulent harmonieusement. Seul le manque d’harmonie nous est perceptible.
Dans notre corps se trouve la totalité des activités concourantes de l’être individuel qui sont synchronisées l’une sur l’autre de la manière la plus fine, non seulement pour former et entretenir un corps pour l’esprit humain mais aussi pour créer la base de son développement spirituel.
Médusant!
Il existe des méduses dont les jeunes individus vivant en liberté s’associent en un conglomérat, un organisme dans lequel elles se repartissent les activités nécessaires. Une partie pourvoit à la locomotion de cette masse compacte de méduses, une seconde à son alimentation et une troisième à sa résistance à l’ennemi. Chaque caste (si cette expression ne parait pas déplacée) se développe aussi fortement que possible dans l’activité qui est la sienne au milieu de la négligence des autres. Ainsi parviennent-elles, grâce à ce concours, à la totalité, à une harmonieuse unité.
Bien entendu, une production semblable de particularités au milieu de l’indifférence de tous les autres ne doit jamais être demandé à l’intérieur d’une communauté humaine. Mais dans toute fourmilière, dans tout essaim d’abeilles, de même que dans chaque vie animale communautaire, la collaboration est cent fois plus harmonieuse que chez les humains, ce dont personne ne doute.
D’où vient l’incapacité humaine?
A qui revient la faute? N’y a-t-il pas là un abus de notre intellect tant vanté? Notre savoir est d’abord intellectuel. Chaque personne peut et doit apprendre d’une autre personne, présumée modèle intellectuel approprié. Mais d’une relation avec l’intérieur de l’être il n’en est pas question.
Sans doute fortement atténuée, nous voyons la juste voie à suivre dans les castes d’êtres diversifiés de quelques peuples demeurés en liaison avec la nature.
L’homme au serpent
Voilà l’homme qui a le dangereux venin du serpent à son côté; depuis des générations cette activité est héréditaire dans sa famille. Son fils se tient auprès de lui, lorsque, sous le charme de sa flûte, le serpent s’enroule et se cache dans sa corbeille. Plus tard, le fils, à son tour, exercera la même activité au profit de la communauté humaine.
Jamais il ne viendra à l’esprit d’un membre d’une autre caste de manier le venin du serpent. Il ne peut saisir ce qui est vivant, animé. Ce rapport avec la vie lui fait défaut au plus bas comme au plus haut point.
Mais si le malheur est arrivé, si un homme est déjà mordu et s’il peut encore arriver juste à temps avec sa piqûre, il peut alors intervenir de manière physique et chimique.
Et quand l’Européen « cultivé » reconnaît que le poison a déjà envahi tout le corps et que sa science est impuissante, il se présente alors un homme d’une autre caste qui se rend auprès du lit de celui qui se débat avec la mort et l’aide sans médicament, peut-être à nouveau par suggestion.
Le chasseur sachant chasser…
L’on pourrait encore citer beaucoup d’exemples semblables, tel celui du chasseur qui, avant son départ, se rend déjà dépendant de son gibier qu’il veut tuer. Ici encore l’attention doit être attirée sur quelque chose d’essentiel.
L’exorciste ne tue pas le serpent quand il est parvenu à l’attirer au dehors de sa cachette. Il le laisse mourir de mort naturelle. Il le laisse mourir de faim. Nous ne comprenons pas du tout cette manière de faire. Mais, en général, que savons-nous de la mort? Sur la nôtre comme sur celle des animaux? Peut-être chez le serpent souvent affamé en advient-il un long sommeil semblable à celui de l’hiver!
Le chasseur sus-mentionné envoûte l’animal au lever du Soleil avec des formules et des prières très spéciales. Il tire sa flèche sur un croquis de la bête à abattre. Plus tard et de nouveau avant le lever du Soleil il l’efface avec une touffe de poils et du sang de la bête abattue, afin que le sang de celle-ci ne le détruise pas.
En cela, durant tout le processus, y brille la collaboration d’une femme de valeur essentielle. (**)
Tous les deux, l‘exorciseur et le chasseur, savent qu’ils seront anéantis si le sang de leur proie arrive sur eux. Ce qu’ils abattent, ils l’abattent seulement pour le maintien de leur propre moi. Ils savent consciemment que le monde, la nature, représentent une unité, un Tout auquel ils appartiennent, dans lequel ils sont tissés et à l’intérieur duquel, les Lois inconnues de nous, doivent s’accomplir. Ils ne veulent pas, par leurs agissements, s’envoyer eux-mêmes par le fond.
Aussi parviennent-ils à réaliser ce qui nous apparaît à nous comme un prodige. Ils se rapprochent avec précaution de leur expédition de l’autre côté, comme nous le faisons de l’intérieur. Mais leurs facultés sont développées, maintenues et entretenues, dans une communauté de créatures que nous regardons de haut avec mépris.
Par là l’homme intérieurement bon juge que la communauté humaine aurait dû être une oligarchie, une société de castes. Nous le confessons librement. Oui, mais pas comme il en a été confessé jusqu’ici.
Et l’humanité contemporaine?
Et en ce qui concerne les relations actuelles avec les êtres humains d’aujourd’hui, il n’en est pas question, jamais, au grand jamais. Il leur manque pour cela justement ce qui est l’essentiel pour cette communauté et leur propre caste, à savoir la vocation, l’aveu de leur dette de reconnaissance à acquitter par l’accomplissement de leur devoir, la gaieté dans leur responsabilité envers le Plus-Haut, pour chaque action particulière accomplie par eux dans la Création.
En plus, nous devons considérer que notre Terre est rendue si peu apte à remonter dans l’espace au point où elle a évolué jadis et que nous-mêmes sommes devenus si peu en mesure de réaliser ce qu’autrefois nous avons pu faire que, aujourd’hui, mieux vaut ne plus en parler.
Regard sur l’avenir
Revenons maintenant à la communauté humaine moderne. Trop mûre, elle se hâte vers la décadence. Fiévreusement, tous les peuples s’équipent dans l’espoir de maintenir leur communauté ou bien de conquérir des conditions de vie encore plus favorables.
N’y a-t-il pas lieu de s’attendre à l’arrivée du contraire? Ces inquiétants préparatifs se vont-ils pas conduire à la mise en pièce de tout ce qui porte en soi un germe de mort? Tout cela devra être fracassé, emprisonnés qu’ils sont dans un piège qui ne permet aucun mouvement.
Retour au spirituel
Le combat acharné contre tout cela est imminent, car ce n’est que du gigantesque malheur de l’humanité que peut renaître le Bonheur pour lequel l’être humain remerciera encore dans des centaines d’années.
Nous allons être contraints à l’expérience, à creuser et à fouiller profondément, puis à nous élever ensuite au plus haut point, après avoir appris à reconnaître ce à quoi conduit un intellect débridé. Ce qui restera de l’humanité apprendra ainsi à prier. Quelques-uns, à ce spectacle, arriveront à la Connaissance. Dès lors se trouvera enfin utilisé le lien spirituel, le seul capable de tenir.
– Traduit de l’allemand. –
– Première publication « Die Stimme » [« La Voix »], Cahier 2. –
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Notes:
(*) [1] Note de la rédaction: Aujourd’hui, l’on dirait plutôt « Ies peuples d’Ukraine et de Russie », mais, à part cela, rien de changé, si ce n’est que la télévision a grandement accru le sentiment du frisson sans risque.
(**) [2] Voir Frobenius: « L’Afrique inconnue ».
Remarque: Les intertitres sont de la rédaction.
Un texte très pertinent qui balaye les questions essentielles et donne le goût de vivre des expériences.
Je partage mon expérience de se laisser guider dans la confiance en la Vie sur le Telegram public de l’Ecole …
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