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L’être humain face à son destin
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Le Testament de Heiligenstadt
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Lorsqu’un être humain vit sa vie, il est souvent confronté … à son … destin! Autrement dit, à son … karma! Et celui-ci lui paraît, parfois, bien amer. Comme le dit une sentence semi-humoristique: « La vie est dure, lorsqu’on la boit … sans sucre! ». Alors, la question qui lui vient alors souvent à la bouche … c’est …: Pourquoi? Qu’ai-je fait pour mériter cela?
Oui, qu’a-t-il fait pour mériter cela? C’est, en effet, la bonne question, la seule qui puisse lui permettre de remonter la chaîne des causes pour parvenir jusqu’à la racine du problème: le faux vouloir qui a donné naissance à la chaîne de toutes les préjudiciables conséquences. L’être humain est obligé de se remettre en cause, car les circonstances lui donnent tort. Reconnaître et se changer: Il n’y a pas d’autre chemin!
C’est ainsi que le très justement célèbre compositeur allemand, Ludwig van Beethoven, auteur de l’immortel Hymne à la Joie (d’après Friedrich von Schiller), devenu l’Hymne officiel de l’Union Européenne, a dû se poser la question: « Pourquoi, moi, musicien et compositeur, suis-je devenu sourd? ». C’est ce qu’il fait à merveille, de très touchante manière, dans le document appelé le « Testament de Heiligenstadt ».
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Beethoven – Le compositeur qui ne pouvait pas entendre – École anglaise
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De Ludwig van Beethoven, à qui Joseph Haydn, vers 1793, a dit: «Vous me faites l’impression d’un homme qui a plusieurs têtes, plusieurs cœurs, plusieurs âmes», Romain Rolland, quant à lui, a dit: «Il est bien davantage que le premier des musiciens. Il est la force la plus héroïque de l’art moderne.».
Le document « Testament de Heiligenstadt » est, en fait, une lettre, écrite, le par Beethoven à ses deux frères, alors qu’il séjournait – pour, sur le conseil de son médecin, y reposer ses oreilles – dans une ville appelée Heiligenstadt, dans la banlieue de Vienne. Apparemment, cette lettre, témoignant de sa grande souffrance intérieure, n’a jamais été postée, de sorte qu’elle a été retrouvée, après sa mort, dans un tiroir secret de son armoire. Et c’est précisément pour cela qu’elle est passée à la postérité!
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Beethoven en promenade près de Vienne – Otto Robert Nowak
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La lettre « Testament de Heiligenstadt » est reproduite, ci-dessous, en traduction française:
« Pour mes frères Carl et [Johann] Beethoven [NDLR: Curieusement, par deux fois (voir aussi, plus loin), le prénom du deuxième frère « Johann » n’est pas écrit dans le texte original.].
Ô vous!, êtres humains qui me tenez pour haineux, obstiné, ou qui me dites misanthrope, comme vous vous méprenez sur moi. Vous ignorez la cause secrète de ce qui vous semble ainsi, mon cœur et mon caractère inclinaient, dès l’enfance, au tendre sentiment de la bienveillance, même l’accomplissement de grandes actions, j’y ai toujours été disposé, mais considérez seulement que, depuis six ans [NDLR: Ludwig van Beethoven a commencé à devenir sourd, à l’âge de 27 ans], un état déplorable m’affecte, aggravé par des médecins insensés, et trompé, d’année en année, dans son espoir d’amélioration.
Finalement condamné à la perspective d’un mal durable (dont la guérison peut durer des années ou même être tout à fait impossible) [NDLR: Il était atteint d’otospongiose], alors que j’étais né avec un tempérament fougueux, plein de vie, prédisposé même aux distractions offertes par la société, j’ai dû tôt m’isoler, mener ma vie dans la solitude, et si j’essayais bien parfois de mettre tout cela de côté, oh!, comme, alors, j’étais durement ramené à la triste expérience renouvelée de mon ouïe défaillante, et certes je ne pouvais me résigner à dire aux êtres humains: « parlez plus fort, criez, car je suis sourd », ah!, comment aurait-il été possible que j’avoue alors la faiblesse d’un sens qui, chez moi, devait être poussé jusqu’à un degré de perfection plus grand que chez tous les autres, un sens que je possédais autrefois dans sa plus grande perfection, dans une perfection que certainement peu de mon espèce ont jamais connue – oh ! je ne le peux toujours pas, pardonnez-moi, si vous me voyez battre en retraite là-même où j’aurais bien aimé me joindre à vous.
Et mon malheur m’afflige doublement, car je dois rester méconnu, je n’ai pas le droit au repos dans la société humaine, aux conversations délicates, aux épanchements réciproques; presque absolument seul, ce n’est que lorsque la plus haute nécessité l’exige qu’il m’est permis de me mêler aux autres êtres humains, je dois vivre comme un exilé, à l’approche de toute société une peur sans pareille m’assaille, parce que je crains d’être mis en danger, de laisser remarquer mon état – c’est ainsi que j’ai vécu les six derniers mois, passés à la campagne sur les conseils avisés de mon médecin pour ménager autant que possible mon ouïe; il a presque prévenu mes dispositions actuelles, quoique, parfois poussé par un instinct social, je me sois laissé séduire.
Mais quelle humiliation lorsque quelqu’un, près de moi, entendait une flûte au loin et que je n’entendais rien, ou lorsque quelqu’un entendait le berger chanter et que je n’entendais rien non plus; de tels événements m’ont poussé jusqu’au bord du désespoir, il s’en fallut de peu que je ne misse fin à mes jours.
C’est l’Art et seulement lui, qui m’a retenu, ah! il me semblait impossible de quitter le monde avant d’avoir fait naître tout ce pour quoi je me sentais disposé, et c’est ainsi que j’ai mené cette vie misérable – vraiment misérable; un corps si irritable, qu’un changement un peu rapide peut me faire passer de l’euphorie au désespoir le plus complet – patience, voilà tout, c’est elle seulement que je dois choisir pour guide, je l’ai fait – durablement j’espère, ce doit être ma résolution, persévérer, jusqu’à ce que l’impitoyable Parque décide de rompre le fil, peut-être que cela ira mieux, peut-être non, je suis tranquille – être forcé de devenir philosophe déjà à 28 ans, ce n’est pas facile, et pour l’artiste plus difficile encore que pour quiconque. –
Dieu, Tu vois de là-haut mon cœur; Tu le connais, Tu sais que l’amour des êtres humains et un penchant à faire le Bien y habitent, – ô, êtres humains!, lorsqu’un jour vous lirez ceci, songez que vous vous êtes mépris sur moi; et que le malheureux se console d’avoir trouvé un semblable, qui malgré tous les obstacles de la nature, a pourtant fait tout ce dont il était capable pour être admis au rang des artistes et des hommes de valeur – vous, mes frères Carl et [Johann], dès que je serai mort et si le Professeur Schmidt vit encore, priez-le en mon nom de décrire ma maladie, et joignez son récit à cette présente feuille, afin qu’au moins le monde se réconcilie autant que possible avec moi après ma mort. –
En même temps, je vous déclare ici tous deux héritiers de ma petite fortune (si l’on peut l’appeler ainsi), partagez-la loyalement, et supportez-vous et aidez-vous l’un l’autre, tout ce que vous avez fait qui me répugnait, vous le savez, vous a été pardonné depuis longtemps, Toi frère Carl, je Te remercie encore particulièrement pour l’attachement que Tu m’as témoigné ces tout derniers temps, je vous souhaite une vie meilleure et moins soucieuse que la mienne, recommandez à vos enfants la Vertu, elle seule peut rendre heureux, pas l’argent, je parle par expérience, c’est elle qui, même dans la misère, m’a élevé, je la remercie autant que mon art, pour m’avoir fait éviter le suicide – adieu et aimez-vous, – je remercie tous mes amis, en particulier le Prince Lichnowski et le Professeur Schmidt. –
Je souhaite, si vous le voulez bien, que les instruments du Prince L. soient conservés par l’un de vous, mais qu’il ne s’élève à cause de cela aucune dispute entre vous, dès qu’ils pourront vous être utiles, vendez-les tout simplement, comme je serais heureux de pouvoir encore vous rendre service sous la tombe – s’il en va ainsi, c’est avec joie que je m’empresse vers la mort – mais si elle vient avant que je n’aie eu l’occasion de faire éclore toutes mes facultés artistiques, alors, malgré ma rude destinée, elle vient encore trop tôt, et je la souhaiterais volontiers plus tardive – pourtant, ne serais-je pas alors aussi content, ne me délivrerait-elle pas d’une souffrance infinie? – viens quand Tu veux, je vais courageusement vers Toi – adieu et ne m’oubliez pas tout à fait, une fois mort, j’ai mérité cela de vous, parce que j’ai souvent, dans ma vie, pensé à vous rendre heureux, soyez-le. –
Ludwig van Beethoven, Heiligenstadt, le 6 Octobre 1802. »
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Beethoven – Piano de Beethoven
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Suit un Post-Scriptum, daté du 10 Octobre 1802:
« Heiligenstadt, le 10 Octobre 1802. – Ainsi je Te fais mes adieux – et certes tristement – oui, à Toi, espérance {bien-}aimée – que je portais avec moi jusqu’à présent – l’espérance d’être guéri au moins jusqu’à un certain point – elle doit maintenant complètement me quitter, de même que les feuilles d’automne tombent et se flétrissent, elle aussi est morte pour moi; presque comme je suis venu ici – je m’en vais – même le grand Courage – qui m’animait souvent durant les beaux jours d’été – il a disparu – ô Providence! – laisse-moi une fois goûter la Joie d’un jour pur – cela fait si longtemps que la résonance intérieure de la vraie Joie m’est étrangère – oh! quand – oh! quand, ô Dieu! – pourrai-je, dans le Temple de la Nature et des êtres humains, de nouveau l’éprouver? – Jamais? – Non – Oh! cela serait trop dur. ».
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Beethoven – Ludwig Van_Beethoven – École anglaise
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Commentaire – Le « Testament » d’un point de vue spirituel
Ce « Testament » – dit « Testament de Heiligenstadt » – est donc – outre l’expression de ses dernières volontés à ses deux frères – le témoignage ou la confession d’un homme qui souffre terriblement. Qui la surdité pouvait-elle affecter plus durement qu’un tel homme? Un compositeur de musique, chef d’orchestre, musicien et notamment pianiste! Il passe alors par une terrible crise qui le conduit au bord du suicide (en s’imaginant faussement – comme toujours – que la mort pourrait soulager sa souffrance), mais il finit par en sortir victorieux et « accouche » alors héroïquement de sa symphonie n°3, dite « Symphonie Héroïque« .
Après cela – rien que pour parler de ses symphonies – il y aura encore la quatrième, la cinquième dite « du Destin », la sixième, dite « Pastorale », la septième dite « Apothéose de la danse », la huitième, et – en bouquet final – la sublime Neuvième, avec son célébrissime Hymne à la Joie, probablement la musique symphonique la plus jouée et entendue dans le monde entier! Rien que de purs chefs d’œuvre!
Oui, en ce cas – comme dans le mythe du Pélican et de l’oiseau-épine, la souffrance a été féconde. Comme le dira le poète romantique Alfred de Musset, un peu plus tard:
« Rien ne nous rend si grands qu’une grande douleur! »
et:
« Les chants les plus désespérés sont les chants les plus beaux
Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots! ».
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Toutefois, pour que la souffrance puisse être féconde, elle doit d’abord être reconnue comme juste! Autrement dit comme la juste répercussion d’un comportement antérieur erroné. Pour Beethoven (dont nous ignorons le karma exact), avoir été capable de célébrer non seulement la Joie mais son Créateur – Auteur de toute vraie Joie -, et de quelle manière! – en ayant surmonté non seulement sa surdité mais aussi et surtout toute la déréliction dont témoigne le Testament de Heiligenstadt confine à l’ « exploit spirituel ».
C’est ce que Beethoven a lui-même fort bien exprimé par ces paroles de 1815:
«Nous, êtres limités à l’esprit infini, sommes uniquement nés pour la Joie et pour la souffrance. Et l’on pourrait presque dire que les plus éminents s’emparent de la Joie en traversant la souffrance (« Durch Leiden, Freude »). ».
L’on ne peut qu’espérer pour lui qu’au cours de cette incarnation-là il doit ainsi avoir racheté la ou les fautes qui, auparavant, devaient avoir, par répercussion, en cette vie, provoqué sa surdité. Qu’est-il devenu depuis? S’est-il réincarné? A-t-il poursuivi son évolution dans le Monde fin-matériel? Qui le sait?
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Beethoven impressionné par Liszt – École anglaise
« L’être humain face à son destin »
Testament de Heiligenstadt
Pour tous ceux qui souffrent, pour tous ceux qui luttent, pour tous ceux qui désespèrent face à des destins douloureux, il leur faut, malgré tout, accueillir la vie de la meilleure façon, car, tôt ou tard, cette souffrance leur prépare le chemin de la délivrance. La patience en sera le fil conducteur, la confiance, la liaison avec les hauteurs. Ludwig van Beethoven finira par sortir victorieux, notamment par les splendides symphonies qu’il a laissées à la postérité!