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Simon Belvalo
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Le destin d’un paresseux
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Conte de André Fischer
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Le temps, cette année, était favorable au coton. Cependant Roger Vic, administrateur du domaine d’Aïrdé, hésitait à aller voir le propriétaire de la plantation. Il suivit l’ombre des palmiers qui contournait la cour au sable chaud et éblouissant, et s’approcha lentement du bungalow blanc aux encadrements bleu clair. Roger Vic se demandait s’il parviendrait à décider Simon Belvalo à parer au danger!
Il trouva le planteur installé comme d’habitude à la véranda. Le petit homme aux paupières lourdes et aux chairs flasques était allongé sous un ventilateur qui remuait l’air de ses pales fatiguées.
Belvalo reçut cordialement son administrateur. Cela encouragea Vic à parler franchement:
– Les noirs ne veulent plus écouter Bourkha-Barhoo!
– Et après?, demanda Simon Belvalo, surpris.
– Et après? Voilà sept semaines, ne l’oubliez pas, que nous n’avons plus de quoi les payer. Il y a longtemps qu’ils nous auraient mis en morceaux, n’était ce curieux sorcier qui les exhorte à la patience. Mais maintenant ils exigent leur dû et Bourkha-Barhoo, paraît-il, ne parvient plus à les calmer.
– Bourkha-Barhoo, le Maestro des Serpents!, scanda Belvalo avec un net accent italien. Écoute-moi bien, Vic, aucun blanc ne l’a jamais vu, cet illuminé, et il existe aussi peu que Barbe-Bleue de vos contes de France. Va, promets double paye aux noirs, et qu’ils attendent la récolte!
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Roger Vic ne retourna pas à la plantation, mais s’enferma dans sa case et prépara son départ d’Aïrdé. Que n’aurait-on pu faire de ces terres, les seules du Haut Niger où le coton réussissait à merveille! Mais si le maître est un fainéant, de malins aventuriers ont tôt fait de vider ses poches. Et Belvalo aimait trop jouer au grand seigneur pour prendre les avertissements au sérieux. Non, Vic ne tenait pas à voir la fin de cette histoire.
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Simon Belvalo, originaire de Sicile, avait dix ans lorsque ses parents acquirent en 1869 la plantation d’Aïrdé. Puis, jusqu’à sa quarante-deuxième année, il passa son temps entre l’Afrique et les plages mondaines d’Italie et de France. Après la mort de ses parents, en 1902, le domaine périclita rapidement.
Deux fautes font saillies dans l’existence de Simon Belvalo. La première se situe loin des temps et des espaces matériels. Après de successives vies terrestres, vies simples et actives, l’âme de Belvalo parvint chaque fois à s’élever davantage dans l’Au-delà. Enfin sa maturité lui ouvrit l’accès à un pays de splendeurs, où il retrouva, pour la première fois, le souvenir intact de toutes ses pérégrinations terrestres.
Hélas, à partir de ce moment il se complut à jouir béatement de la hauteur acquise. Mais les sphères de la vie ne tolèrent pas d’arrêt! Il déchut et sombra dans les brouillards ternes et pâteux de l’oisiveté.
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C’est lorsqu’il remarqua la paralysie croissante de ses jambes qu’il fut à nouveau happé par les attirances terrestres. La Loi spirituelle incontournable de l’Attraction du Genre Semblable joua, et quand il naquit, en 1859, ce fut de parents riches, mais aussi fainéants que lui.
La seconde faute fut commise à l’âge de neuf ans, âge où il avait déjà besoin de nombreux domestiques. L’un d’eux, un jeune roumain du nom de Franqui, lui reprocha un jour sa vaniteuse paresse. Mi-bravade vengeresse, mi-insouciance de jeunesse, Simon mit secrètement le feu à la dépendance des gens de maison. Franqui périt dans l’incendie. L’horrible souvenir de cette fin tragique n’a cessé de poursuivre Belvalo. Mais il ne s’est jamais corrigé de son oisiveté matérielle et spirituelle.
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Depuis l’entretien avec son administrateur Belvalo dort. Des spectres furieux à chevelure de flammèches hantent son sommeil.
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Voici qu’ils s’écartent devant un géant au regard justicier qui se dresse droit devant le dormeur. Effrayé, Belvalo reconnaît Franqui. Comment chasser cette pénible présence? Enfin il parvient à s’arracher au cauchemar et à entrouvrir les yeux. Mais, est-ce réalité, ou encore rêve? Dans l’ardent soleil de la cour, debout, un nègre immense et immobile le fixe! Il a trente ans à peine. Sur son torse large et nu glisse un cobra luisant… Bourkha-Barhoo!… Franqui réincarné!
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La deuxième nuit après cet incident, vers une heure du matin, des bruits inaccoutumés réveillent Simon Belvalo. Une lueur rouge vacille sur les persiennes baissées et joue sous la porte du fumoir. Belvalo saute du lit, se précipite au salon, veut gagner la véranda: partout le feu le repousse! Il traverse le hall et court vers l’office. Un cri strident l’arrête, il voit une ombre surgir des flammes du fumoir et se plaquer violemment contre la lourde porte vitrée fermée à clé.
Belvalo pense, une seconde, ouvrir et permettre à l’homme de se sauver avec lui. Mais que lui importe à présent la vie de ce nègre! Il passe et cherche à sortir par la porte de service. Il pénètre dans l’office au moment où un craquement douloureux déchire le plafond qui s’effondre.
Aussi, n’écoutant que rarement leurs intuitions, les hommes excellent à tout gâcher. Leur égoïsme hautain étouffe ces gestes bienveillants qui les sauveraient des dangers matériels et les libéreraient des fautes spirituelles d’antan.
Bourkha-Barhoo était venu pour sauver le planteur. Si Belvalo avait fait le geste d’ouvrir la porte dans l’intention de secourir l’homme noir, Belvalo aurait payé sa dette envers Franqui. Maintenant l’occasion, rapide comme l’éclair, est passée.
Belvalo, il faut à présent que Ton corps livre aux puissances justicières Ton âme pâle, inerte et coupable!
La force surhumaine du géant fait enfin céder la porte vitrée. Il se lance sur la trace du planteur, le dégage des décombres flambants, bondit à travers les flammes du fumoir, saute sur la véranda, puis dépose le blessé sur le sable rougeoyant.
Autour du bungalow, tout est en feu, les dépendances, les magasins, les terres. Les noirs, bernés, ont frappé dur!
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Au matin, le planteur reprit connaissance pour un moment. Se dressant sur ses bras mutilés, il contempla les ruines fumantes, que les palmiers palpaient de leur ombre. Lentement il comprit l’irrémédiable anéantissement d’Aïrdé et maudit le destin qui venait de détruire son paradis.
Quelques temps après, Simon Belvalo se réveille dans la nuit de l’Au-delà et sent avec épouvante son âme s’enfoncer dans un marécage acide, dissolvant sa substance inutile et condamnée.
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Cette histoire de Simon Belvado nous démontre la nécessité pour l’être humain de rester en mouvement tant matériel que spirituel s’il veut continuer à s’élever et cela quelque soit le niveau de maturité déjà acquis; il doit continuer inlassablement.
Ne dit-on pas: « L’oisiveté est la mère de tous les vices. »?
Parallèlement dans ce parcours de Simon Belvado, nous est montré que la Lumière essaye toujours de mettre l’esprit humain dans une situation lui permettant de racheter une faute commise, mais, bien souvent, en vain!
Soyons en éveil à ce sujet!
Cette histoire de Simon Belvado nous démontre la nécessité, pour l’être humain, de rester en mouvement tant matériel que spirituel, s’il veut continuer à s’élever et cela quel que soit le niveau de maturité déjà acquis; il doit continuer inlassablement.
Ne dit-on pas: « L’oisiveté est la mère de tous les vices. »?
Parallèlement, dans ce parcours de Simon Belvado, nous est montré que la Lumière essaye toujours de mettre l’esprit humain dans une situation lui permettant de racheter une faute commise, mais, bien souvent, en vain!
Soyons en éveil à ce sujet!
« Le destin d’un paresseux »
Ce qui a conduit au mal dans ces plans matériels est bien la paresse spirituelle que, malheureusement, nous partageons tous.
Ce conte, en mon sens, va beaucoup plus loin que ce que nous pouvons percevoir à première vue.
Il est plus facile de réveiller un paresseux reconnu et identifié terrestrement qu’un paresseux en esprit.
Pour ce dernier l’existence proprement dite est vraiment menacée, s’il ne se réveille pas à temps.
La paresse terrestre est plus facile à vaincre ici bas que celle spirituelle.
La vigilance et la vivacité spirituelles entraînent automatiquement le maintien en activité bénéfique et permanente.