Ecole de l'art de vivre

Les Moissons du Ciel – Par Joël Eudes

par | 27 Fév 2024 | Contes, Autres Articles, Recherche Spirituelle | 0 commentaires

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Les Moissons du Ciel

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Par Joël Eudes

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Extraits – La rencontre avec Monsieur Noé

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« (…) J’étais venu en visite à Valdieu, quelques mois plus tôt, pourtant, je ne reconnaissais plus la ville. L’atmosphère était différente. Le froid semblait engourdir toutes choses; les passants ne s’attardaient guère dans les rues et les quelques mots de civilité rituelle qu’ils échangeaient d’ordinaire avec leurs connaissances se trouvaient aujourd’hui contractés en des formules plus laconiques encore. Nous entrâmes dans une petite auberge tiède comme un nid recroquevillé dans le petit matin. Il nous fallait quatre cafés pour avoir chaud et quelques renseignements pour commencer nos recherches. Nous fûmes servis assez rapidement sous l’un et l’autre rapport. En effet, l’étrange apparition de la nuit dernière occupait précisément, on s’en doute, les propos de tous les clients réunis dans la salle. Nous ne tardâmes guère à nous mêler aux conversations et apprîmes ainsi que l’engin s’était posé non loin de Valdieu dans le champ d’un certain Noé.

«Gaëtan Noë, vous pouvez pas vous tromper», qu’ils avaient ajouté les paysans du coin, «elle s’appelle l’Arche, sa ferme, y en a pas deux comme ça dans la région. L’est original le père Noë… court pas après l’argent, l’écrit même des bouquins écologiques.».

«Y va pouvoir en écrire un autre sur les soucoupes volantes!» avait ajouté le patron de l’auberge, comme ça, pour rire. On avait ri aussi, mais on n’avait pas trouvé ça drôle, nous, parce qu’on commençait à comprendre que bientôt il faudrait avoir le sens de l’humour bien noir pour continuer à rire. Pour le moment, l’affaire faisait grand bruit dans l’auberge. Ceux qui avaient vu ou cru voir parlaient beaucoup, ceux qui n’avaient rien vu du tout parlaient davantage encore. L’aubergiste nous accompagna dans la rue afin de nous indiquer la direction à suivre; il pointait du doigt un carré de campagne givré qu’il était difficile de cerner avec précision. Il fallait laisser le site de Logres sur la droite, tourner à gauche et poursuivre jusqu’à un embranchement en forme de fourche, là, nous devions prendre encore à droite et «nous étions assurés de tomber en plein sur la ferme du père Noë». Nous reprîmes donc la route et nous nous engageâmes dans le dédale des petits chemins blancs. Nous ne tardâmes guère à arriver sur le sommet d’une colline qui n’était nullement l’objectif visé. Nous redescendîmes aussitôt. J’interrogeai une indigène fripée comme une vieille pomme qui me répondit, dans un jargon à désarmer une légion d’académiciens, quelque chose que je ne compris pas. Heureusement, Isabelle avait le don des langues et traduisit immédiatement: Il n’y avait qu’à descendre jusqu’à la petite gare qui se trouvait un peu en contrebas et là demander de nouveau la route à suivre. Mais la bicoque qui avait été élevée jadis à la dignité de gare était abandonnée à présent, et même depuis des décennies, à en juger par le délabrement des murs et la rouille des rails! La vieille avait le goût simple des plaisanteries épaisses, ou bien, c’est plus probable, son horloge intérieure s’était arrêtée trente ans plus tôt avec le grondement du dernier train. Un paysan nous remit enfin sur la bonne voie et, un quart d’heure plus tard, nous entrions dans la cour d’une ferme gigantesque. Des chiens aboyèrent; inquisiteurs, un coq chantait dans les cours. Le maître des lieux parut, apaisa d’un geste la meute qui affecta un instant l’indifférence pour revenir, aussitôt, flairer insidieusement les nouveaux arrivants. Guillaume salua, déclina son identité et la nôtre par la même occasion et, après s’être préalablement assuré de celle de notre interlocuteur, vint enfin au fait:

– «Il paraît, Monsieur Noë, qu’un engin bizarre s’est posé cette nuit dans l’un de vos champs?».

– «C’est exact, d’ailleurs les gendarmes sont déjà passés ici de bon matin pour s’enquérir de l’affaire, un rapport a été établi.»

– «Que s’est-il passé au juste?»

– «Pas grand-chose, à vrai dire. Nous avons été réveillés au milieu de la nuit par les aboiements des chiens. J’ai aussitôt pensé à un rôdeur. J’ai ouvert la fenêtre, celle de l’étage, là-haut à gauche, c’est alors que j’ai aperçu là-bas, en face de vous, à l’autre bout du pré une espèce d’engin lumineux qui achevait tout juste de se poser. J’ai d’abord pensé à un hélicoptère en difficulté ou quelque chose comme ça, mais je me suis aussitôt rendu compte que l’appareil ne produisait aucun bruit susceptible de confirmer cette hypothèse. J’ai tout de suite compris de quoi il s’agissait. Je dois dire que je n’en menais pas large…»

– «Et qu’avez-vous fait, à ce moment-là?» interrogea Guillaume.

– «Eh bien, j’ai attendu calmement la suite des événements, je ne suis pas sorti, il me semblait inutile de courir au-devant du danger. Puis ils sont repartis exactement comme ils étaient venus, avec, en plus, les chasseurs aux trousses qui ont dû leur faire à peu près autant d’effet qu’une poignée de moustiques…»

– «Pouvons-nous voir l’endroit où ils ont atterri?»

– «Bien sûr, mais je vous avertis tout de suite que vous allez être déçus: il n’y a pas une trace, rien, et si j’étais le seul à avoir vu, je pourrais croire à une hallucination ou à un rêve.»

Au moment où nous allions nous diriger vers la ligne d’arbres qui marquait les limites du pré, une voiture entra dans la cour et s’arrêta à côté de la nôtre. Deux reporters en sortirent et Monsieur Noë, imperturbable, dut recommencer son récit, assailli d’une multitude de questions. On le fit même remonter jusqu’à la fenêtre de sa chambre d’où il avait été témoin de l’étrange atterrissage afin de prendre une photo. Il se plia de bonne grâce aux caprices des journalistes: c’était la rançon de la gloire naissante providentiellement tombée du ciel! Après quelques menus détails biographiques qui l’excluaient définitivement du cercle omniprésent des fabulateurs en tous genres, Monsieur Noë nous conduisit au fond du champ. L’herbe rasée était toute givrée; il gelait encore. Le rayon du soleil blanc, impuissant et figé, comme pétrifié par le froid glacial des espaces sidéraux, ne communiquait plus à la terre qu’un frisson vague, monde plutonien où ne parvient plus la caresse qui fait naître le blé. Monsieur Noë nous désigna d’un air ironique un petit carré d’herbe blanche, semblable en tout point à celle que nous venions de fouler pour traverser le champ:

– «Voilà, c’est ici ! Vous voyez, rien, aucune trace, de quoi rendre Saint Thomas plus dubitatif encore et même pas de quoi fonder un pèlerinage!».

Nous examinâmes les lieux en détail, mais en effet, il ne subsistait aucun indice qui attestât le passage de l’engin. L’herbe n’était pas brûlée et elle était trop rase pour être aplatie. Je me sentis soudain un peu incrédule comme on l’est, irrésistiblement, devant les reliquaires de certaines églises, dont on ne parvient pas à croire que les ossements ou les cendres puissent être, ici plus qu’ailleurs, miraculeux. J’avais beau avoir cette variété particulière de foi que procure la certitude d’avoir vu, il n’en demeurait pas moins évident que nous n’apprendrions rien de plus ici. Isabelle jeta un coup d’œil rapide à sa montre, l’heure avait tourné pendant que nous songions à autre chose qu’à elle; le temps profite toujours qu’on est occupé pour filer à l’anglaise et placer à leur insu sur le visage des hommes le sceau de sa puissance! Retourner à Valdieu et nous arriverions à l’auberge juste pour déjeuner. Nous allions donc saisir cette opportunité pour prendre congé, mais Monsieur Noë, soit par pure aménité, soit qu’il désirât s’entretenir encore avec nous, nous retint, manifestant un tel empressement à nous accueillir autour de sa table qu’il eût été discourtois de décliner son invitation. La demeure était chaude et avenante. La maîtresse de maison n’avait rien dans sa mise d’une paysanne; un sourire illuminait le visage de cette femme, belle encore; on la sentait tout de suite gracieuse, affable, douce et simple. Les Noë étaient des gens aisés, qui avaient reçu une bonne éducation et une solide culture. Une étrange irradiation émanait de ce couple serein, apaisante et vivifiante comme un baume. Lorsque je les considérais tous les deux à la fois, il me semblait les voir en mauve, comme deux glaïeuls. J’eus le sentiment indéfinissable d’être comme protégé, invincible, invulnérable sous le toit de cette demeure rustique. La bénédiction divine devait planer sur elle comme la colombe de la Sainte Alliance. Sentiment antique de l’hospitalité sacrée! Elle portait bien son nom, la ferme: à la veille du déluge, j’y serais entré, ouvert et confiant comme les animaux dans l’Arche de Noë, sans jeux de mots.

Monsieur Noë était un homme extrêmement lucide, cohérent, profondément logique; aucun principe qu’il ne défendît sans l’appliquer! Comme nous évoquions la Prophétie qui motivait indirectement notre présence à l’observatoire, notre hôte saisit l’occasion pour préciser son point de vue dont il n’avait jusqu’à présent livré que des bribes au cours de la conversation, sentant que sa discrète réserve ne manquerait pas de susciter des questions:

– «Voyez-vous, moi je pense que cette Prophétie n’est pas seulement un tissu de légendes comme on l’affirme si souvent pour tenter de se rassurer tant bien que mal. Il y a là-dedans un fond de vérité, auquel se mêle aussi, très certainement, une part de fantaisie. Trop d’événements coïncident en fait avec ce qui avait été annoncé par le Prophète, trop de signes se manifestent de jour en jour, auxquels il est aujourd’hui impératif de prêter attention. Ne sentez-vous pas que les choses sont en train de changer?».

– «Vous pensez donc vous aussi qu’une sorte de Tournant cosmique se prépare, qui décidera bientôt de l’avenir de l’homme?» interrogea Isabelle.

– «Oui, c’est exactement ce que je pense. De gré ou de force, l’humanité va être conduite vers de profondes mutations, contrainte de respecter les Lois naturelles qui régissent l’Univers.»

– «Et si elle s’obstine à ne pas les respecter?» reprit Isabelle.

– «Eh bien, je me demande si nous ne devrons pas tout bonnement disparaître, balayés par les conséquences désastreuses d’erreurs millénaires. C’est qu’elles prennent aujourd’hui des proportions toutes nouvelles, nos erreurs: dans l’histoire de notre globe, c’est la première fois que nous sommes investis d’un tel pouvoir. Nous tenons entre nos mains le destin de la planète tout entière!»

– «Et vous avez une idée, vous, pour éviter la catastrophe?» interrogea Isabelle, dubitative.

«Oh! les idées, les idées… c’est joli mais ça ne sert à rien, ce qu’il faut c’est agir et au plus vite, changer, devenir enfin des êtres responsables et conscients qui luttent entre eux-mêmes pour que naisse un esprit nouveau. Qu’est-ce que c’est l’esprit nouveau, allez-vous me dire? C’est cette beauté morale que les peuples ont oubliée depuis trop longtemps, c’est cet élan d’amour qui s’élève du cœur même de l’individu, cette petite voix qui nous dit de renoncer à l’égoïsme, à l’action vile. Il y en a des tas de petites actions méprisables que nous pourrions accomplir ignorées de tous, avec notre seule conscience pour témoin! Qu’est-ce qui fait que le plus souvent nous nous en détournons comme d’une chose trop abjecte? Qu’est-ce qui fait que quelque chose pleure en nous lorsque par malheur nous nous laissons aller à le commettre cet acte méprisable? C’est que certains hommes savent l’écouter cette petite voix qui parle en eux, ils la cultivent comme une plante qu’on soigne et qu’on regarde croître. Elle est timide, elle est frêle au début, la petite voix, mais peu à peu, elle prend de l’assurance, elle s’installe profondément en vous, plonge ses racines et pèse chacun de vos actes.»

– «Certes, Monsieur Noë, c’est vrai, mais tout le monde n’est pas juste et honnête comme vous, il y a des tas de gens que ça n’empêche pas de dormir de savoir que leur génération laissera derrière elle un monde semblable à une poubelle dégoulinante d’ordures. Alors, ajoutai-je encore, que peuvent contre ceux-là les quelques hommes qui entendent cette voix qui leur parle et les exhorte à l’équité? Ils ne réussiront jamais, je le crains, à déplacer les montagnes de l’incrédulité et de l’indifférence. Ne devront-ils pas sombrer, emportés dans les flots des peuples indolents? Tellement les choses s’enchaînent! Tellement notre civilisation rend les hommes dépendants les uns des autres!»

– «Alors tant pis! Nous du moins, nous aurons fait l’effort, nous aurons tenté quelque chose. Nous laisserons les morts enterrer leurs morts! Ici, nous pouvons fort bien vivre du jour au lendemain en circuit fermé. J’ai de quoi vivre et faire vivre les hommes qui travaillent avec moi. Un petit cours d’eau traverse ma propriété: je peux produire du jour au lendemain ma propre électricité, toutes les installations sont en place. Nous ne serons pas les plus gênés. J’ai toujours respecté la terre sur laquelle je vis et je sais qu’elle me le rendra.» (…)

– « Les choses sont simples, Yohan, ce sont les hommes qui les compliquent. Nous avons mis notre intelligence sur un piédestal, comme si elle pouvait résoudre tous les problèmes! Quand une question reste sans réponses, nous nous empressons, dans notre orgueil, de déduire qu’il n’y en a pas. Mais notre cerveau n’assure que le travail pour lequel il est programmé, pas un autre. Sa compétence, sa logique se borne étroitement aux choses de la Terre. Que lui importe à lui, l’immortalité éventuelle de l’esprit? Quelques décennies suffisent à faire de lui ce parfait instrument qui brillera de tous ses feux et que quelques années suffiront à briser comme les rouages d’un mécanisme usagé. L’éternité a pour nous cette fluidité de la musique qui échappe à l’intelligence, laquelle n’est faite de toute évidence, ni pour goûter l’une ni pour goûter l’autre. Il y a des hommes qui sont sourds de naissance. Pourtant, je suis persuadé que dans leur tête chantent parfois quelques notes, quelques accords, une mélodie peut-être, qu’entend une autre oreille que celle du corps. C’est peut-être çà l’éternité: un air qui passe, immortel, insaisissable? » (…)

Moi, je l’admirais, Monsieur Noë, sans réserve, mes compagnons aussi sans doute; nous avions été touchés par ses arguments simples, et, pour la première fois peut-être, nous avions réalisé ce qu’il y a de merveilleux à vivre ainsi, en paix avec soi-même, ouvert au monde, mais tout prêt à couper des ponts devenus trop dangereux, pour se replier dans une indépendance soigneusement étudiée. Nous ne pouvions qu’approuver la position de notre hôte. Il m’apparaissait clairement qu’il n’obéissait pas à un froid calcul de l’intelligence, mais bien plutôt à une intuition claire et lucide, prescience des événements à venir qui lui dictait la conduite à suivre pour survivre dans un monde qui, du jour au lendemain, pouvait retomber dans l’extrême barbarie et le dénuement le plus total. Son point de vue éveillait en moi je ne sais quoi qui emportait immédiatement l’adhésion, en dehors de toute autre réflexion d’ordre plus particulier.

Nous fîmes encore le tour de la propriété après le déjeuner et, bien loin des préoccupations qui nous avaient amenés le matin, nous remerciâmes nos hôtes d’un aussi chaleureux accueil. Nous ne les connaissions que depuis quelques heures et pourtant, j’eus le sentiment en montant dans la voiture de serrer la main de vieux amis. Sentiment étrange préfigurant peut-être la suite de nos relations?

– «Ne manquez pas de venir nous voir lorsque vous passerez dans la région. Notre porte est grande ouverte. Je suis sûr que vous n’avez pas encore eu l’occasion de visiter le château de Logres qui ne se trouve pas bien loin d’ici? Non?! c’est un tort! C’est une magnifique promenade, une sorte de pèlerinage que tout nouvel arrivant a le devoir de faire.»

– «Ce château passe en effet pour extraordinaire d’après ce qu’en disait mon épouse ce matin même encore, serait-il donc hanté comme un bon vieux manoir écossais?»

– «Oh! je n’y ai jamais, quant à moi, rencontré de revenants! Mais y pénétrer, c’est comme ouvrir une porte sur le passé, sur un autre monde, un univers de légende. L’on s’attend à y rencontrer Merlin, Viviane, Morgane, Mélusine et toute la suite du roi Arthur.»

– «Tiens! ce château ne doit pas manquer de charmes!»

– «Oui et dans tous les sens du terme, vous verrez! Faites donc escale ici si la fantaisie vous vient de faire cette petite excursion en plein Moyen-Age. Au revoir et bonne route», ajouta-t-il encore en claquant la portière.

 

– Extrait du roman « Les Moissons du Ciel » de Joël Eudes. –

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Les Moissons du Ciel

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