La Musique et les Musiciens dans l’Ordre
de la Création
Par Lucien Siffrid
Qui ne connaît le sentiment de bonheur et d’élévation {ressenti} lorsque, lors de l’exécution d’un morceau de concert, nous nous abandonnons totalement, lorsque nous pouvons expérimenter la beauté de la musique, dans son entraînant et apaisant effet sur les artistes interprètes, de même aussi que sur les exécutants et les auditeurs?
En réalité, il ne s’agit, cependant, pas – pour autant que cela soit une authentique expérience vécue – d’un sentiment, mais, bien davantage, de l’intuition qui coule à travers notre âme et qui, de manière diversifiée, arrive à expression. L’un est comblé {de bonheur} et rayonne, l’autre si bouleversé, dans son {for} intérieur, que les larmes lui viennent aux yeux, à son tour un autre est rempli de gratitude de pouvoir entendre de tels sons.
C’est donc l’intuition {qui est} le point de départ de l’expérience vécue musicale – {et non} pas le sentiment, {qui est, quant à lui} dirigé par l’intellect.
La musique s’écoule, pure, en ondes vibrantes, issue des hauts Plans du Royaume Spirituel jusque dans la matière en bas. Atteint-elle, maintenant, des esprits humains comblés de Grâce, qui, consciemment ou inconsciemment, peuvent s’ouvrir à ces vibrations, alors se forme, dans le {fait de} S’Ouvrir, le compositeur recevant ou l’artiste exécutant, donc le pratiquant. Ils sont ainsi le chaînon de liaison vers ces vibrations pour ces auditeurs. Ceci est, en peu de mots, le processus dans sa simplicité et sa grandeur: le merveilleux courant des ondes et des vibrations vers le bas, qui affluent vers nous, les êtres humains de la Terre.
Si un grand et même entraînant effet peut être déclenché sur l’intuition de l’auditorat, alors il nous arrive un pressentiment du fait {objectif} {de savoir} quelle inimaginablement puissante Force est agissante dans la pure Musique du Plan spirituel, qui est l’origine de la Musique. – Cette origine se trouve tout à fait {en} haut, dans les lointaines Hauteurs du Royaume Spirituel Originel.
La Musique est le plus haut de tous les Arts [1] – non seulement de par son origine, mais aussi à cause de son effet sur l’expérience vécue de l’esprit humain. La Musique est l’Art qui reste le plus loin de l’intellect et de sa compréhension – de sorte qu’il s’adresse de la manière la plus directe à l’intuition et donc à l’esprit. Ceci ne signifie pas que les musiciens créateurs ou exécutants pourraient se passer de l’aide de l’intellect pour produire la musique. Mais les autres genres de l’art, comme, par exemple, l’architecture, la sculpture, la peinture ou le dessin, pour pouvoir représenter des contenus spirituels, doivent avoir recours à des définitions restreintes, de l’ordre spatial ou matériel, ou, comme {dans} les {différents} genres de la poésie, de la définition des mots pour pouvoir éveiller en nous des images spirituelles.
Les sons de la musique, par contre, sont de purs processus de vibration – {bien} évidemment matériellement produits, {que ce soit} par des instruments ou par la voix humaine et matériellement portés {jusqu’}à l’oreille de l’auditeur par le moyen de l’air, mais sans fixation matériellement {dé}limitée et sans détermination conceptuelle en tant qu’absolues conditions {préalables} en vue de la transmission d’images spirituelles.
La musique est, sans son énonciation, terrestrement insaisissable, invisible, impossible à fixer avec des concepts; elle crée ses images dans l’esprit de l’être humain, parce qu’elle ne se présente pas comme un art statique, mais comme un art qui doit traverser le temps pour lui-même se réaliser. La « durée » d’un morceau de musique, donc le nécessaire espace de temps qui lui est nécessaire pour {pouvoir} retentir et, par ce retentissement, devenir expérience vécue – cet espace-temps exige de nous un aller-avec, {non} pas avec les pieds, pas avec le corps {terrestre}, pas avec les yeux, pas avec l’intellect, mais {au contraire} avec l’esprit, donc {avec} notre être le plus intime. Ce remplissage de l’espace-temps de la musique, c’est ce qui fait d’elle, aussi ici sur Terre, le plus haut de tous les arts [1].
Partant de cette reconnaissance fondamentale, nous pouvons maintenant facilement survoler du regard les égarements que sont capables de déclencher l’ainsi-dénommé « art moderne », et tout particulièrement la musique moderne, dans la vie psychique et sentimentale de l’humanité actuelle.
Les auteurs d’œuvres « modernes », des êtres humains tout à fait déterminés et sans doute doués, ne peuvent s’ouvrir aux fines vibrations affluant du Haut vers le bas, ne peuvent ensuite, non plus, de façon correspondante, rien recevoir de Pur, parce que, pour eux, seul le succès personnel, dans le matériel, pour l’étanchement de leur soif de gloire et de distinction, dans la poursuite de leur carrière, est déterminant. Leur source, {celle} à laquelle ils puisent, ne se trouve pas dans les lumineuses Régions de l’Esprit, mais {au contraire} dans les sombres sphères de l’au-delà, où, du fait du genre semblable de leur disposition liée à la Terre, ils ne peuvent aussi recevoir que du genre semblable. Leurs dons, qui leur ont été donnés pour la réalisation d’une haute Tâche, ils ne les ont développés que dans une fausse direction, déformé en leur contraire, et ainsi péché contre l’Esprit.
Les notions de la langue allemande sont si claires, si pures et univoques, qu’il serait, pour chaque être humain, facile de demeurer sur le juste chemin. Dans l’expression «Aufgabe» [«Tâche»] se trouve, indéniablement, la notion de «sich selbst aufgeben» [«s’abandonner soi-même»].
Donc, tous nos grands dons nous sont advenus pour la réalisation de nos hautes Tâches par l’activation {du processus} de soi-même s’abandonner. Mais l’être humain dominé par l’intellect a faussement utilisé et dirigé ce don. Il ne pense pas à lui-même s’abandonner, mais, au contraire, il met tout en œuvre pour placer son soi-même au centre de toute pensée et de toute action. {C’est} ceci {qui} est le péché contre l’Esprit.
Dans la langue française le mot « Gabe » se dit « don », mais cela signifie aussi: «cadeau». Le mot « geben » signifie: « donner » = « schenken » [«offrir», « faire cadeau de »].
Aussi ici est contenu le sens vivant: Un don [« Gabe »] est donné [«geschenkt»: «offert»] pour le Don{ner} [«Geben»] et ne doit pas être utilisé pour des buts personnels [«Selbstzwecken»]!
Ainsi nous entendons et voyons, maintenant, aujourd’hui, des productions dénaturées du son et de la couleur, de la forme et de la silhouette, des malformations à la place de l’Art véritable et pur. Même les bien-voulant, les chercheurs de Vérité, peuvent tomber victimes de ces productions tirées des plans inférieurs, {et élaborées} avec tout le raffinement possible et {in}imaginable. Une telle musique peut, de façon correspondante à son origine ténébreuse, ne peut pas agir sur l’Intuition, qui, de la manière la plus incisive, doit refuser de telles choses, mais, au contraire, uniquement sur la vie mentale, sur les instincts, y produisant l’imagination, et – avant tout! – sur le système nerveux. L’auditeur, qui a crucifié son Intuition, se grise avec une telle musique et croit – dans sa confusion – à l’effet « calmant » de cette musique. Son âme se laisse entraîner par les vibrations instinctives et fouettant les nerfs des ténèbres et expérimente dans les assourdissantes cacophonies et les rythmes déformés les orgies de la dysharmonie. Nous avons déjà lu {des récits racontant} quels excès corporels, ravages matériels et aussi frénésies, ont provoqués de telles véritablement « diaboliques », productions.
La responsabilité de cet état {de fait} criant vers le Ciel, la porte les doués pour l’Art. Pour cette responsabilité aucun d’entre eux ne peut esquiver, pas même par un habile faux-fuyant ou d’adroites « interprétations ». Les Dons leur furent accordés pour un seul et unique But: Qu’ils rendent possible à leurs co-êtres humains, qui n’ont pas entretenu ces Dons {de sorte à les porter} à la vivification et à la formation, l’expérience vécue du Monde de l’Esprit. Si, maintenant, dans cette chaîne de réception puisant par l’intermédiaire des compositeurs, lors de la soigneuse retransmission, par l’intermédiaire des chanteurs, des chefs d’orchestre, et des musiciens, un unique membre ne vibre pas consciemment dans la Pureté, alors la vibration doit obligatoirement être troublée et le cycle voulu de la Création {doit être} interrompu et demeurer inaccompli. L’art actuel, et tout particulièrement de la musique, à cause de la domination illimitée de l’intellect, à cause du péché contre l’Esprit – malgré quelques glorieuses exceptions – pour la plus grande partie, succomb{en}t aux ténèbres.
L’Art est le témoignage de la Magnificence de l’Activité de la Création et du Créateur – seulement alors il s’agit d’Art véritable! Il témoigne de la vraie Réalité – et non pas du « pouvoir » d’un artiste doué, qui, en une virtuose maîtrise, pour présenter son expérience vécue, sa joie et sa peine, ses propres hauts et bas, avec {le secours du} son et {de la} couleur, mais qui – ce qui est la chose principale – n’est pas capable d’apporter la conclusion! Il décrit sa réalité, mais pas la Réalité!
Il peut et peut et doit absolument aussi décrire sa propre expérience vécue, caractériser le chemin de ses expériences pour pouvoir ainsi aider les autres; le principal de son activité, cependant, repose toujours dans la conclusion: Dans l’Annonce et la Guidance vers le Haut, vers la seule vraie Réalité, à savoir vers la Magnificence de la Lumière!
Ainsi la haute Tâche de l’artiste réside dans la réception des fines et pures Vibrations affluant vers le bas {en provenance des Hauteurs} vers lui, et dans le {fait de} laisser refluer les formes d’Intuition en train de se former, {en provenance} de ceux qui vivent d’expérience l’Œuvre d’Art, vers l’Origine, vers la Lumière.
Cette haute Tâche se tient en pleine contradiction avec l’actuelle conception du compositeur, ainsi aussi que de l’artiste interprète. En général celui-ci « vit » – selon lui – de son succès et il considère que sa tâche consiste à continuellement augmenter ce degré d’éloges qu’il reçoit. Les allures de star bien connues, les rémunérations exorbitantes des « stars », les publicités malsaines, témoignent déjà suffisamment de l’attitude profonde de tels égarés, face à leur propre responsabilité.
Ils offrent des pierres au lieu de Pain aux âmes qui ont soif de l’Art véritable, les conduisent vers eux-mêmes au lieu de les conduire vers la Source de tout ce qui est Pur et Beau, vers le Créateur de tous les Mondes.
Contrairement à l’artiste les auditeurs ne peuvent pas connaître ce processus de la nécessité du retour vers l’Origine de ce courant – en jubilation, joie et gratitude, car ils ne possèdent pas ce Don. C’est justement l’effet de la musique qui doit élever l’âme à travers l’Intuition et la conduire sur le Chemin de la Lumière.
Il dépend uniquement de l’attitude profonde de l’artiste, du vrai et authentique artiste, si oui ou non l’immense Bonheur de l’Enthousiasme des auditeurs peut refluer vers l’Origine, en une débordante gratitude de la Grâce reçue avec le don de ce Talent artistique.
C’est alors que sur le même chemin le Courant de Grâce renforcé peut refluer vers le bas, vers toute la chaîne de ces cercles. Le circuit est fermé et de plus en plus toute l’humanité pourra être entraînée en une joyeuse gratitude pouvant de nouveau s’élever vers les Marches du Trône du Dispensateur de toute Grâce.
Cette Source est intarissable – c’est l’inépuisable Amour de Dieu.
Il n’y a pas lieu de penser maintenant que les œuvres reçues par l’artiste devraient nécessairement être d’un genre élevé et difficile.
De petits chants simples, reçus dans la pure sensibilité populaire en font aussi partie, tout comme les grandes œuvres.
Ce sera toujours la Pureté – l’Intuition – qui sera déterminante – et la Joie qui a pu être déclenchée.
C’est donc une erreur de penser que seulement la musique du genre liturgique religieux puisse être appropriée pour chanter les Louanges de Dieu, Lui rendre Grâce. Il serait faux de croire que seulement de « pieuses mélodies » puissent servir pour exprimer la Gloire de Dieu. Dans toute Joie il y a de la vénération, à condition qu’elle soit pure, même dans la gaieté enfantine inconsciente.
Le Créateur ne veut pas d’êtres humains tristes, car, en réalité, ceux-ci ne sont que des accusateurs, qui placent leurs propres produits – leurs propres soucis et chagrins – devant Lui. (*)
La peine (« Leid ») devrait se transformer en chant (« Lied »).
Le « i » est un cierge allumé, une lumière!
Dans le mot « Leid » le « i » se trouve derrière le « e ».
« E » signifie « ERleben » [« expérimenter », « vivre »] (« ER » = « LUI ». « Leben » = « Vie ».), de même aussi que « ERkennen » = « reconnaître ». (« ER » = « LUI », « kennen » = « connaître »).
Par cette Reconnaissance à travers le vécu la nostalgie du « i » devient une flamme qui, dans la force de son embrasement, consume tout obstacle.
Le « i » se place devant le « e » – et la peine se transforme en chant … « Leid » devient « Lied ».
Le « d » de « Lied« est le « Dienen » – [« Servir »].
Il n’existe pas de peine qui ne peut se transformer en chant, si l’être humain concerné s’ouvre à la Lumière, plein de confiance, dans un vouloir pur et bon. (**)
Que chaque mot que nous prononçons soit une mélodie, chaque phrase une symphonie, et chaque prière un oratorio.
Mais nos mélodies sonnent impures, nos symphonies sont déformées, et il est rare que nous puissions entendre un véritable oratorio.
Ainsi, le chemin du vrai musicien est le chemin de l’abnégation [« Selbstlosigkeit » = « (fait d’être) sans soi-même », « désintéressement »], le chemin qui mène, à travers lui, vers Dieu, le Créateur. Là, il n’existe aucune différence entre les musiciens professionnels et les musiciens amateurs: Il n’y a que des Serviteurs de la Musique. La différence n’a été créée que par la conception étroite, liée au terrestre, des personnes concernées.
Seulement lorsqu’il se tiendra dans ce Service-là l’artiste pourra remplir sa haute Mission. Pour y arriver il devra accorder son instrument intérieur, son âme, au son de la Pureté pour pouvoir devenir le Serviteur de l’Art le plus haut [1]: un Serviteur de la Musique!
– Traduit de l’allemand. –
Titre du texte original allemand:
« Musik und Musiker in der Schöpfungsordnung ».
Notes:
[1] NDLR: Selon le propre Maître de Lucien Siffrid ceci ne serait, toutefois, pas exact. Selon le Témoignage du musicien Alfred Grégoire (qui n’est pas suspect de partialité, vu qu’il était violoniste, concertiste de niveau international, ayant joué avec de grands chefs), Il aurait désigné l’Art dramatique, avant la Musique, en tant que l’Art le plus haut.
(*) « Qui{conque} est encore capable d’exprimer de la mauvaise humeur n’a pas compris la Grandeur de Dieu! »
(**) « Les plus désespérés sont les chants les plus beaux, Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots. » – Alfred de Musset – « La Nuit de Mai » -.
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