Ecole de l'art de vivre

Anilos – Par André Fischer

par | 8 Fév 2024 | Contes | 0 commentaires

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Anilos

  

L’homme, à la silhouette haute et raide, avance lentement, tel un somnambule. Sa longue cape d’un bleu triste traîne sur l’herbe pâle. Peu à peu il gravit la pente silencieuse et s’arrête enfin dans la lumière blafarde du sommet.

Il dévisage d’un regard hautain les mornes alentours, des collines nues qu’estompe le brouillard. Le froid le glace. Il serre son manteau et reprend sa marche monotone à travers la vaste solitude. Combien d’années encore lui faudra-t-il errer sur ces monts étrangers?

*

Un vague sentier se dessine. L’étrange pèlerin sait, pour l’avoir suivi cent fois, qu’il mène vers une colline plus élevée, que là-haut il verra se dresser pèle-mêle de grandes pierres sombres d’où suinte le reproche, et qu’à nouveau il entendra résonner l’apostrophe inacceptable:

 

ANILOS,

VOIS DANS CHACUNE DE CES PIERRES

UNE DE TES VIES TERRESTRES PASSÉES,

FROIDES ET VAINES COMME L’ORGUEIL

QUI TE LIE A CES LIEUX!

ABAISSE-TOI, ET TU T’ÉLÈVERAS!

 

Anilos se raidit davantage, mais ses pieds continuent la marche, irrésistiblement attirés par l’austère sommet.

Voici les roches lugubres! Elles sont à présent rangées en un cercle impressionnant. Dans l’unique brèche miroite une apparition transparente, mi-ange, mi-brouillard. Une voix sévère interpelle l’homme:

 

ANILOS! LE CYCLE DE TES VIES

DANS LA MATIÈRE

DOIT S’ACHEVER!

IL T’EST ACCORDÉ

UN DERNIER VOYAGE SUR LA TERRE.

TU Y RENCONTRERAS UN HOMME

QUI T’AIDERA À VAINCRE TA VANITÉ.

LIBÈRE-TOI!

SINON CES PIERRES SERONT

TON ÉTERNEL TOMBEAU!

 

À ces mots, les proches collines se soulèvent comme une mer houleuse, puis s’effondrent. Un ravin sinistre se creuse. De ses flancs gicle l’orgueil en vertes effluves acérées. L’homme les hume, longuement, puis il s’assoupit.

*

Il naquit sur terre sous le nom de Alexandre Marney. Ses premières années furent souriantes jusqu’au moment où se manifesta son exceptionnelle intelligence. Dès lors, l’obstination prétentieuse de sa mère à l’exhiber en enfant prodige lui imposa d’amers sacrifices. Bientôt il se complut à se sentir admiré. Anilos, âme de l’enfant, avait oublié son nom, son passé. Mais l’orgueil était toujours là! L’adolescent aspira à la brillante carrière d’officier de marine. C’est alors que sa raideur spirituelle toucha le corps : une paralysie dorsale déclarée d’origine héréditaire brisa ses fiers projets. L’insupportable échec l’aigrit. À partir de l’âge de vingt ans, de pénibles crises de foie l’assaillirent sans répit.

Intelligent et ambitieux, Alexandre Marney parvint, grâce à une amélioration de la paralysie, à devenir un biologiste notoire. Mais aucun traitement ne put endiguer sa douloureuse maladie du foie. Il venait de franchir la cinquantaine, lorsqu’on lui parla d’étonnantes guérisons que Thomas Casselot opérait par son puissant prestige moral. Marney eut avec lui plusieurs entretiens fort brillants. Un soir, le médecin porta le coup décisif:

– Ce n’est pas votre foie qui est malade, cher ami, mais votre âme! Non, ne vous offusquez pas! Recueillons-nous ensemble et demandons à Dieu de nous montrer la faute de votre vie!

Pendant trois heures ils luttèrent en silence. Marney découvrit alors que seule la raideur de son âme, révoltée depuis son lointain revers à l’École navale, déchaînait la perpétuelle révolte de son corps. Il eut honte. En peu de jours, sa stupide arrogance s’évanouit et il accepta enfin l’échec. À partir de ce moment, Marney n’eut plus de crises.

*

Bonheur fugitif, car l’approche d’une nouvelle attaque de la paralysie jeta Marney dans un désarroi tragique. Il s’était expliqué son hépatisme. Mais cette paralysie héréditaire, dont il ne put découvrir le germe dans aucune faute de vie, comment l’expliquer? Comment l’accepter?

Peu après, le médecin Thomas Casselet est demandé d’urgence auprès de Marney, que terrasse le mal. Ses traits sont tirés, ses yeux enfoncés, mais grand ouverts.

– Je ne comprends pas, … balbutie-t-il!

– Ami, répliqua le médecin, ce n’est plus l’heure de comprendre, mais de tout accepter, dans la certitude d’un Ordre supérieur, que nous ne pouvons pressentir que partiellement!

Marney détourna son regard angoissé. Où trouver la réponse totale? En s’engageant à en accepter le prix? À ce moment, l’appel impérieux d’un autre monde parvint à l’âme du mourant:

ANILOS!

*

Une colline grise, couronnée de roches sombres, émerge de la brume. Soudain, un éclair de feu, comme un glaive éblouissant, frappe les pierres. Elles s’animent et dévoilent à Anilos son long passé d’orgueil et de froide raideur. Il comprend alors que son dernier corps portait les fautes de ses vies antérieures.

               – Oui, … il faut savoir accepter, murmure-t-il.

Le mont s’illumine. Un être lumineux s’approche lentement de la brèche de l’enceinte rocheuse et la clôt dans le scintillement de fleurs bleues:

 

ANILOS,

TU AS CHERCHÉ, COMPRIS ET ACCEPTÉ

LA SAGESSE DE LA VIE ET SA HAUTE LOI!

DES PAYS PLUS HEUREUX T’ATTENDENT!

VIENS!

 

Anilos, son manteau bleu clair flottant dans la lumière, suit l’ange-guide d’un pas léger et contemple les purs horizons qui s’ouvrent à ses yeux émerveillés.

*

 

Extrait du recueil « Destins d’hommes » – Par André Fischer.

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