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Le Grand Virage
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(…) La disparition rapide de tous sens moral, à tous les niveaux de l’échelle sociale, affecte de plus en plus profondément tous les domaines de l’existence, pendant que se profile distinctement à l’horizon le spectre de l’holocauste nucléaire final: le crime de lèse-humanité!
Les raisons de ce très inquiétant état de décadence de nos sociétés se trouvent, pour une grande part, dans les idées que les hommes se font de l’Univers, de ses Lois et du rôle que joue l’homme sur la scène du monde. Les idées que nous nous faisons sur le monde et sur la vie sont en effet d’une importance capitale. Car c’est en fonction de nos conceptions que nous décidons de nos comportements. Ce sont nos conceptions qui déterminent nos actes. Ce sont les opinions auxquelles nous adhérons qui fixent notre but dans l’existence, et ce sont ces opinions qui nous orientent vers le but que nous nous sommes fixés. Pour les collectivités, comme pour les individus, c’est leur vision du monde, leur «Weltanschauung» [1], qui détermine la voie à suivre, les devoirs à accomplir, les règles à respecter.
Croire, comme la plupart des matérialistes, que les événements mondiaux n’ont d’autres causes qu’économiques et sociales, c’est faire preuve d’une affligeante myopie, d’une irrémédiable obnubilation intellectuelle. Car, en réalité, derrière la fantastique bousculade des événements mondiaux, qui se joue sur l’avant-scène de l’actualité, se déroule un grand drame spirituel, une évolution tragique du genre humain.
Qu’on le veuille ou non, ce sont les idées qui mènent le monde; ce sont les conceptions que les hommes se font de la vie et du monde. Car les pensées, les paroles et les actes de tout être humain dépendent de ses conceptions personnelles, ou de celles qui lui ont été inculquées. Elles sont déterminées, et même conditionnées par les conceptions qu’il a faites siennes. TANT VAUT L’IDÉAL, TANT VAUT DONC L’HOMME.
Car, enfin, il faut être logique! Si la vie n’existe qu’entre le berceau et la tombe, quelles raisons aurions-nous de maîtriser nos instincts et nos appétits de jouissance? Pourquoi ne pas plutôt chercher à les satisfaire à tout prix, en veillant seulement à ne pas entrer en conflits avec les lois humaines, puisqu’il n’en existe pas d’autres? Si l’être humain ne fait qu’apparaître et disparaître en ce bas (très bas!) monde, quel intérêt a-t-il à s’y bien conduire puisque, dans la mesure où il ne se fera pas pincer par la justice des hommes, il n’aura de compte à rendre à personne, lorsqu’il aura cessé d’être? «Si Dieu n’existe pas, tout est permis!», s’écriait Dostoïevski.
Si tout finit dans le tombeau, l’homme moderne n’a aucun intérêt à chercher à dominer ses instincts. À l’exception des lois humaines, rien ne peut le retenir. Pour le myope qu’il est devenu, le bien et le mal n’existent plus, le juste et l’injuste se confondent. Ce ne sont, déclare-t-il, que des notions relatives. En une définition parfaitement limpide, le prix Nobel Alexis Carrel avait pourtant fait justement observer que: «Le Bien, c’est tout ce qui concourt à l’épanouissement de la Vie. Tandis que le Mal, c’est tout ce qui s’y oppose.».
La disparition de la croyance en l’immortalité de l’âme, en même temps qu’elle ruine toute sanction morale, laisse irrésolu le problème de l’inégalité des naissances, des aptitudes, des situations. En effet, pourquoi les uns bénéficieraient-ils de tous les dons de l’esprit et du cœur, des faveurs de la fortune, alors que tant d’autres n’ont en partage que pauvreté intellectuelle, vices et misères physiques? Pourquoi, dans une même famille, des parents, des frères, issus de la même chair et du même sang, diffèrent-ils tellement? Autant de questions insolubles pour tous ceux qui s’affirment «matérialistes», ainsi d’ailleurs que pour la plupart des soi-disant Chrétiens.
C’est ici qu’intervient ce que l’on peut appeler…
Le rôle social des religions
Sur toute la Terre, dans toutes les sociétés humaines, à toutes les époques de l’Histoire, les institutions qui portent l’éminente responsabilité de cultiver et de promouvoir la moralité publique et privée – ces institutions qui ont pour mission de faire épanouir ces hautes facultés spirituelles et morales que sont le sens des responsabilités, le sens de l’équité, de l’honnêteté, de la droiture, de la solidarité, de l’altruisme, la pureté des mœurs, autrement dit de développer cette morale publique et privée, dont l’affaiblissement progressif et l’extinction finale provoqua la chute de tant d’autres civilisations avant la nôtre – les institutions sociales responsables de la formation de ce sens spirituel et moral indispensable à la cohésion et à la pérennité de toute société, ce sont les religions.
Mais, parce que les religions n’ont pas su enseigner d’une façon conforme aux lois naturelles c’est-à-dire naturellement et logiquement, de manière cohérente, les lois qui régissent la destinée humaine, l’homme moderne tient d’autant plus farouchement à son optique matérialiste que l’insuffisance et l’illogisme des explications théologiques et religieuses ne peut plus satisfaire son besoin de comprendre clairement. Rejetant alors toute transcendance, limité comme il l’est devenu par ses propres conceptions matérialistes, l’homme moderne se précipite, lui et le monde sorti de son cerveau, à son propre anéantissement.
C’est de cette façon qu’il apparaît peu à peu que la société matérialiste – cette société qui ne prend en considération que les seules valeurs matérielles et terrestres, au mépris de toutes considérations métaphysiques et morales – c’est de cette façon que l’on peut constater que la société matérialiste s’achemine d’elle-même, à travers une décadence de plus en plus profonde, vers sa propre destruction. Car il n’y a pas de morale authentique sans métaphysique.
Pendant des siècles, ce sont les églises chrétiennes qui, par leur influence, ont façonné la civilisation occidentale. L’enseignement du Christianisme, malgré sa plus que médiocre mise en application par la plupart de ceux qui l’enseignèrent, constitua néanmoins, pendant longtemps, le ciment principal, l’élément de cohésion des sociétés occidentales. Aussi longtemps que les populations ont accepté, et plus ou moins bien tenté d’appliquer ses enseignements, même sans trop les comprendre, le Christianisme put, tant bien que mal, informer, structurer et orienter l’évolution de la civilisation occidentale. À cette époque, force était de croire plus ou moins aveuglément, donc sans comprendre, ce que le magistère lui-même ne pouvait expliquer logiquement et clairement.
Il n’en est plus de même aujourd’hui. L’instruction publique obligatoire, les progrès de la science et de la technologie, la plus large diffusion des connaissances par les mass média, ont entraîné, chez les populations, un besoin de comprendre et une exigence parfaitement justifiée de logique, de clarté et de cohérence, que les enseignements des églises chrétiennes n’ont malheureusement jamais été en mesure de satisfaire. C’est pourquoi elles exercent de moins en moins d’influence sur le comportement des populations. Celles-ci ayant, de ce fait, perdu tout soutien spirituel et moral, savent de moins en moins comment se conduire dans leur vie.
C’est pourquoi nombreux sont les agnostiques qui déclarent en haussant les épaules: «S’il y avait un Dieu, il ne permettrait pas toutes les injustices et les horreurs dont l’actualité nous submerge!». S’il leur restait un peu de bon sens, ils devraient cependant se poser les questions:
Mais qui donc pollue et saccage tout? L’air, l’eau, le sol, les mers, le psychisme et la mentalité des populations? Qui se rend coupable de crimes, de hold-up et de terrorisme? Est-ce que c’est Dieu, ou est-ce que ce sont les hommes? Qui est-ce que fabrique des armes classiques, atomiques, bactériologiques et chimiques; et qui en vend pour «faire de l’argent»? Qui est cause de l’incoercible chômage et de l’inflation galopante? Qui oblige les hommes à se comporter comme ils vivent? N’agissent-ils pas comme ils l’entendent? Ne votent-ils pas librement pour ceux qu’ils choisissent?
Reprocherions-nous à Dieu de nous laisser libres d’agir à notre guise, alors que nous réclamons la liberté à cors et à cris à ceux qui nous gouvernent? Le Créateur, assurent les religions, ne veut que le bien de l’humanité. Ce n’est donc pas Lui qui cherche à la faire souffrir, c’est elle-même qui est cause des désastres dont elle se plaint en ignorant Sa Loi.
Le Christ n’a-t-Il pas affirmé: «L’homme récoltera ce qu’il sème!»? Ce qui veut dire qu’il doit récolter ce qu’il sème – qu’il est mis dans l’obligation de récolter, tôt ou tard, ce qu’il a semé en pensées, en paroles ou en actes. L’observation du monde actuel n’apporte-t-elle pas la preuve de l’exactitude de cette affirmation, si l’on veut bien tenir compte du fait que tout homme a déjà vécu bien des fois ici-bas?
Nous pouvons donc nous réjouir que cette Volonté du Créateur s’accomplisse sans répit et de plus en plus vite. Nous pouvons donc nous réjouir que d’immanente qu’elle était jusqu’à présent, la Justice de Dieu (pas celle des hommes, bien sûr!) soit en passe de devenir, peu à peu, imminente. Ce que montre la furieuse «accélération de l’Histoire» et la succession quasi ininterrompue des «chocs en retour».
Car c’est de cette façon que, las de devoir douloureusement subir les funestes conséquences de leurs propres pensées, paroles et actions, les hommes vont bientôt se trouver dans l’obligation, par les détresses et les souffrances dont ils sont seuls causes et qu’ils ont eux-mêmes déclenchées, de respecter Sa Loi («Aimez-vous les uns les autres»), et ainsi de Lui obéir.
De leur plein gré, les hommes de notre temps ne se résoudraient jamais à se comporter de telle sorte qu’ils puissent récolter le bonheur auquel pourtant ils aspirent. Ils sont devenus trop limités par leurs facultés intellectuelles hypertrophiées, par rapport à leurs facultés spirituelles atrophiées, comme j’ai tenté de le démontrer dans mes précèdent ouvrages. C’est pourquoi il va falloir qu’ils soient contraints de changer par la détresse et la nécessité.
Ce n’est pourtant pas faute d’avoir été mis en garde contre une si funeste évolution par de nombreux initiés, prophètes, écrivains et poètes, et même par des scientifiques, sans parler du Christ lui-même, bien entendu!
C’est de cette façon que va être mâtée une humanité rebelle à la Volonté de son Créateur. Alors, tous les problèmes qui se posent aujourd’hui («explosion démographique», inflation, chômage, crises sociales et militaires, etc.) ne se poseront plus. Car l’excès même des souffrances que vont devoir récolter les survivants des prochaines catastrophes que nous nous apprêtons à déclencher nous-mêmes, dans notre aveuglement, cet excès de souffrances obligera l’humanité (ou ce qu’il en restera!) à changer radicalement de mentalité, de comportements et de modes de vie. Ce qu’ils s’avèrent incapables de faire délibérément de nos jours. Ce n’est qu’après les événements dont nous sommes seuls causes que s’ouvrira enfin la grande ère de Paix qui nous est promise. Mais elle commencera par la paix des cimetières.
Après les grandes épreuves que, par notre seule faute, nous allons tous devoir traverser, un monde fait de survivants exsangues prendra la succession dans le sang et les larmes. C’est alors – et alors seulement – que la voie sera enfin libérée pour l’expansion mondiale de la Lumière de la Vérité, qui s’offre pourtant déjà aujourd’hui à tous ceux qui la cherchent, mais que la plupart s’acharnent néanmoins à récuser, parce qu’elle ne correspond ni à leur attente, ni à l’image qui leur en fut inculquée.
Les religions sont, en effet, des moules successifs qui utilisent le même substratum métaphysique. Mais les formes archaïques et désuètes doivent disparaître, ou s’adapter, pour faire place à des formes nouvelles, mieux adaptées à l’évolution que l’humanité est contrainte d’accomplir, soit en s’élevant peu à peu, soit en s’abandonnant à des décadences qui la détruisent, suivant la façon dont elle place elle-même le gouvernail.
Sous les symboles les plus variés, les religions offrent toutes une représentation du monde qui tente de décrire les mêmes réalités transcendantes. Mais, parce que les représentations religieuses présentes et passées sont désormais devenues archaïques et élémentaires – et, de plus, parce qu’elles ont été en grande partie faussées par les ratiocinations, voire les élucubrations séculaires des théologiens de toutes les obédiences – une irrésistible évolution va les obliger à changer (ou alors à disparaître!) pour faire place à des conceptions beaucoup plus pures, logiques et naturelles, mieux adaptées aux facultés de compréhension de l’humanité qui survivra aux catastrophes que nous préparons présentement.
Frederick Nietzsche a fort justement fait observer que: «Pour qu’un sanctuaire apparaisse, il faut qu’un sanctuaire disparaisse». La forme religieuse qui, depuis vingt siècles, porte le nom de Christianisme, va devoir purifier les notions qu’elle enseigne. Mais ce changement ne se fera pas sans une lutte acharnée tendant à empêcher l’expansion de conceptions plus pures. Car les religions périmées ne veulent pas disparaître. Elles cherchent avec d’autant plus d’acharnement à se perpétuer que, au cours des siècles, de multiples intérêts temporels sont venus se greffer sur elles. Dans tous les pays du monde, à toutes les époques de l’Histoire, ça s’est toujours passé de la même manière. Les religions moribondes se sont toujours finalement opposées à tous les facteurs d’évolution spirituelle qui se présentaient hors de leurs institutions. Le Christ y a même laissé la vie!
Avant nous, d’autres auteurs l’ont déjà pressenti et écrit. Par exemple, au siècle dernier, dans «Les soirées de Saint Pétersbourg», ouvrage qui porte en sous-titre: «Entretiens sur le Gouvernement temporel de la Providence», Joseph de Maistre écrivait:
«Le Christianisme sera rajeuni d’une manière extraordinaire; il ne s’agit pas d’une «modernisation» de l’église (*) [2], mais d’une forme nouvelle de la Religion Éternelle, qui sera au Christianisme actuel, ce que celui-ci est au Judaïsme».
Le temps est à présent venu d’une nouvelle effusion spirituelle. Il n’est pas proche, il est déjà arrivé. C’est afin de participer à cette nouvelle effusion que j’ai été intérieurement poussé à écrire cet ouvrage.
– Jean Choisel –
Notes:
[1] (*) Note de l’auteur: Il ne s’agit donc pas d’un «aggiormamento» (Note de l’éditeur: mot italien utilisé par l’église catholique pour décrire les travaux du concile «Vatican 2», initié par le Pape Jean XXVIII), d’une mise au goût du jour.
[2] Note de l’éditeur: «Weltanschauung»: «conception du monde», «cosmogonie».
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