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Pierre, l’Ami des Fleurs
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A vrai dire, Pierre n’a pas toujours été l’ami des fleurs, mais plutôt leur massacreur! Mais tout changea un jour, et voici comment cela s’est passé.
C’était lors d’une chaude après-midi d’été. Ses parents s’étaient rendus au bourg voisin à cause d’une nouvelle clôture du jardin. Pierre, resté seul à la maison, en profita pour mettre de l’ordre dans sa collection philatélique, son grand et cher passe-temps.
Pendant que dehors le soleil dardait ses rayons brûlants sur le village et les champs tout proches, Pierre goûtait à la fraîcheur de sa chambre et triait ses timbres. Une série espagnole fort belle, qui lui avait causé bien des recherches et de nombreux échanges, était la perle de sa collection.
Elle étalait devant lui ses images larges et magnifiques! Celles aux fortes couleurs brunes et noires ressortaient vigoureusement. Mais il lui manquait toujours ce dernier timbre de la série! S’il l’avait, combien il pourrait être fier de cette magnifique page de sa collection!
Ainsi les heures s’écoulaient, en partie pour admirer, en partie pour réfléchir aux échanges qui lui vaudraient ce dernier timbre. Soudain, un bruit de la porte l’arrache à son rêve. C’était ses parents qui rentraient. Aussitôt retentit la voix autoritaire de sa mère.
– Pierre! Pierre! Viens de suite!
Mécontent d’être dérangé et ne pressentant rien de bon, Pierre descendit au rez-de-chaussée.
– Pierre, ne peut-on compter en rien sur toi, lui crie sa mère en colère? Encore une fois tu as oublié d’arroser les fleurs! Tiens, regarde comme elles fanent!
Ce n’est qu’à ces mots que Pierre se souvint de l’insistante recommandation de sa mère, lui enjoignant de penser aux fleurs qui ornaient les chambres du bas.
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Et voilà ce qu’il avait oublié une fois de plus à cause de ses timbres. Pierre s’attendait à un sévère sermon. Mais il advint quelque chose de bien plus terrible! Dans l’intervalle, son père était monté à l’étage et en revenait maintenant en pressant sous son bras toute la collection de timbres.
– Ça, lui cria-t-il, en attenant tu l’as vu pour la dernière fois, et il disparut avec son chargement!
Totalement décontenancé, Pierre ne pouvait saisir cette cruauté inhumaine. Puis il sentit monter en lui une vague sauvage de désespoir. Et voilà qu’il se précipite hors de la maison, traverse la cour et le jardin, continue sa course folle dans les champs, pénètre furieusement dans la forêt. Ce n’est que là, arrivé au solitaire sentier des ronces, comme on l’appelait, que sa frénésie commençait à se calmer. La douleur et la colère bouillonnaient violemment en lui, étouffant sa respiration haletante.
– Tout cela à cause de ces maudites fleurs! Cria-t-il dans la forêt silencieuse.
Puis il ramassa une verge et se mit à fouetter rageusement les fleurs le long du sentier.
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– Va-t-en, toi! Et je te décapite, toi! Et je t’abats! Et je te casse!
A chaque fois la verge siffla dans l’air et faucha les herbes et les fleurs. Bientôt le sentier eut une triste allure. Mais Pierre continua le massacre, chaque fleur ne faisant qu’aviver sa rage et sa douleur.
Arrivé en face d’une touffe particulièrement dense, il prit un élan extrême pour couper tout d’un seul coup! Mais la violence du mouvement le déséquilibra, il trébucha sur une racine et tomba avec une mauvaise torsion de la jambe. Un bruit sourd, un cri sauvage … puis la forêt retrouva le calme et le silence. Un insecte vint se promener sur la main du garçon, étendu sans connaissance.
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Après un temps, Pierre regarda à travers ses paupières mi-closes. Ce qu’il vit lui coupa le souffle. Trente à quarante personnages singuliers l’entouraient! Il y en avait de tout petits, transparents et planant comme des papillons, puis un groupe de petits bonshommes à l’air grave et qui le regardaient sévèrement, et là-bas plusieurs hommes grands et forts, portant une sorte de fourrure de mousse d’où sortaient des bras nus et menaçants.
– Qui êtes-vous? Que voulez-vous de moi, cria Pierre d’une voix que la peur étranglait?
– Cela, nous allons te le dire sans retard, répondit l’un de ces hommes bourrus qui ressemblaient plutôt à de vieux troncs d’arbres noueux et couverts de mousse! Ton inattention a mis les fleurs de ta mère en danger de mort, et dans ta rage démesurée tu as massacré sans pitié et sans raison beaucoup de fleurs et d’herbes que nous aimons. A présent, nous te demandons de rendre compte de tes méfaits, bien que ta jambe cassée te soit une première et dure punition.
Une frayeur froide pénétra Pierre. Ma jambe cassée! Plus de fuite possible! Et tous ces êtres menaçants autour de moi!
– Au secours! Mais que vais-je devenir! gémit Pierre!
Après un moment, le blessé se tut et le premier de ces hommes terribles reprit:
– Tu implores du secours! Bon, nous n’allons pas être aussi impitoyables que vous, les hommes, et si tu t’efforces de comprendre trois hautes vérités, nous ne te punirons pas davantage!
– Oh oui, supplia Pierre. Voyez dans quel état misérable je suis!
– Écoute donc la première, dit un petit elfe, délicat génie verdoyant et rougeoyant des fleurs. Laisse la beauté de chaque fleur et de chaque plante te parler! Prends conscience de ses couleurs lumineuses! Suis du regard leurs lignes élégantes! Contemple leur structure hautement artistique! Ensuite réfléchis: toute cette merveilleuse harmonie, n’est-elle pas plus qu’un simple dispositif utilitaire, ainsi que vous, les hommes, le prétendez dans votre désolante superficialité? N’est-elle pas l’œuvre d’un grand artiste?
Au delà de l’elfe délicat, Pierre vit un groupe de campanules bleues et remarqua pour la première fois combien elles étaient belles.
– Écoute la suivante, dit un petit gnome gracieux! Laisse la grande diversité des fleurs et des plantes parler à ton cœur! Réjouis-toi de l’ensemble harmonieux de leurs couleurs, admire leurs tailles changeantes, vois la richesse de leurs structures! Cette diversité insaisissable, n’est-elle pas plus qu’un simple hasard, comme le prétendent les hommes dans leur pitoyable aveuglement? N’est-ce pas, comme pour tes timbres, une collection soigneusement ordonnée de myriades de belles formes de la vie, qui toutes rayonnent le bonheur et réjouissent ceux qui savent les voir?
Pierre regarda les herbes, les mousses, les buissons, les arbres de la forêt, et vit pour la première fois à quel point chaque être de la nature avait sa personnalité et combien chacun semblait lui parler à sa propre manière.
– A présent, écoute la troisième vérité, dit le génie vigoureux d’un arbre! Laisse les forces des fleurs et des plantes te parler! Tu sais que les plantes te nourrissent et que tu leur dois ta vie! Mais sais-tu aussi qu’il existe pour chacune de tes maladies une fleur, une herbe, une racine pour te soulager et te guérir? Et si les plantes savent à ce point servir la conservation de ta santé, n’est-ce pas merveilleux et cela ne mérite-t-il pas un remerciement?
Pierre se souvint des herbes de sa mères, qu’il appréciait tant lors d’une fièvre, d’une toux ou d’une indisposition. Il comprit pour la première fois que les jardins, les prés et les forêts étaient en réalité une immense et vivante pharmacie!
Maintenant, le plus grand et le plus fort des elfes, celui qui avait parlé en tout premier lieu, s’adressa de nouveau à Pierre:
– Nous tous ici, nous sommes les amis de toutes les fleurs et de toutes les plantes. Nous savons que leur beauté, leur variété et leurs forces guérissantes leur sont accordées chaque jour par la grande Lumière de laquelle tout est né, tous les êtres, nous ici et aussi toi. Veux-tu maintenant réfléchir profondément à tout ce qui t’a été dit, et nous promettre d’être dorénavant un ami des fleurs, un ami qui les soigne et ne leur fait plus jamais le moindre mal? Alors nous t’aiderons, et pour toute ta vie chaque fleur que tu regardes te sera une source de joie. Mais si tu ne veux pas, nous t’abandonnerons maintenant sans t’aider, parce que tu fus si cruel, et pour toute ta vie chaque fleur que tu regardes te sera une douloureuse accusation. Maintenant décide-toi!
Depuis un bon moment Pierre a compris à quel point il a mal agi et regrette sa brutalité sans nom à l’égard de ces merveilleux êtres de la nature. Il baissa la tête et dit tout bas:
– Je regrette ce que j’ai fait! Aidez-moi à devenir l’ami des fleurs!
Aussitôt l’elfe de l’arbre dit à l’un des gnomes:
– Gudrian, cours et amène ici la voiture et les chevaux!
Gudrian s’élança joyeusement et disparut dans la forêt. Sur ce, l’elfe géant s’approcha de Pierre, posa doucement la main sur sa tête et laissa son regard clair et chaud reposer longuement dans ses yeux. La paix emplit le cœur de Pierre et il s’endormit.
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Pierre dut garder longtemps le plâtre, car la fracture de sa jambe était compliquée. Il avait ainsi le temps de réfléchir à sa singulière aventure dans la forêt. … Ou était-ce un rêve? … Il n’en parla à personne, mais il ne se passa pas un seul jour qu’il ne demande à sa mère si elle avait arrosé ses fleurs!
Il fallait que son père lui dise journellement quel temps il faisait dehors et si les fleurs trouvaient assez d’eau dans le sol. L’étonnement des parents avait été immense, lorsqu’il les questionna ainsi pour la première fois. Ils ne purent ni comprendre ce changement de tout son comportement, ni croire en sa persistance!
Un dimanche matin il fut enfin autorisé à se lever pour la première fois et à s’asseoir un moment dans un fauteuil. Alors sa mère lui offrit un magnifique bouquet de fleurs des champs.
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Surpris et profondément ému, il le prit dans ses deux mains, jeta un regard reconnaissant à sa mère, puis contempla avec joie les innombrables petits visages qui lui souriaient. Lorsqu’il ressentit le bonheur que les fleurs lui prodiguaient, ses larmes se mirent à couler. Et voilà que son père déposa sur ses genoux un grand paquet soigneusement fermé. Lorsqu’il l’ouvrit, oh surprise, il y découvrit son ancienne, sa chère collection de timbres, et en plus un nouvel album flambant neuf et bien plus grand!
Il lui fallut du temps pour sécher ses larmes et pouvoir lire sur la première page:
«A notre Pierre,
à notre cher «Ami des Fleurs»!».
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A.F., 9.6.1980.
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– Extrait du recueil de contes « Destins d’hommes » de André Fischer. –
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