LE PAQUEBOT « ÉPHÉSUS »
Imaginez que vous viviez confortablement sur un paquebot avec tous les agréments que cela comporte. Vous ne manquez de rien; la décoration de votre cabine est raffinée, la moquette est moelleuse, la musique agréable et les mets copieux. Vous participez naturellement aux travaux d’entretien qui constituent votre contribution à la communauté pour profiter de la qualité de la place. Parfois vous vous offrez un spectacle pour vous changer les idées, allez au cinéma ou faites une excursion sur des rives inconnues. Le confort, la douce température ambiante, le rythme de croisière et le ronflement sécurisant des moteurs incitent au repos et vous donnent l’illusion du bonheur.
Cependant, votre volonté propre s’étiole petit à petit sans que vous n’y preniez garde, et le goût de l’effort ainsi que l’ardeur au travail s’affaiblissent. Et puis la douceur de vivre et la routine ne stimulent guère l’intérêt à l’étude et à la réflexion, et encore moins à la recherche sur le sens de votre existence. Le capitaine du navire est charmant, prévenant et efficace; il anticipe tous vos désirs et gère à la perfection la traversée afin que ses passagers ne manquent de rien.
Puis, un jour, le navire est pris par des secousses inhabituelles et se met à tanguer légèrement. Le moteur a des ratés et les marins semblent nerveux. Un malaise s’empare de vous; une sorte d’inquiétude prémonitoire vous gagne. Vous passez la tête par le hublot et un vent glacial vous saisit. Des flocons de neige épais et parsemés vous frappent le visage et vous ne voyez plus la terre. Quelques clameurs se font entendre, tandis que le capitaine ordonne des mots techniques à son équipage un peu désemparé.
Mais ce n’était, semble-t-il, qu’un aléa sans importance.
Tout redevient normal et en quelques jours, le navire a repris son rythme régulier de croisière, paisible et sécurisant. Le calme total est revenu. Le géant des mers glisse lentement sur les flots huileux, sous une voute céleste bleu marine; la nuit étoilée est parfaitement limpide.
Mais, à présent, un silence inhabituel et inquiétant que rien ne semble pouvoir perturber règne à bord. Aucun bruit, pas même un chuchotement. Les cabines sont emplies de gens qui dorment profondément, comme à l’habitude à cette heure de la nuit. Les coursives sont désertes et le pont que la lune fait luire parait démesurément long. Le temps semble s’être soudainement figé. Un silence de mort enveloppe l’imposante structure d’acier. Il fait terriblement froid et une sensation funeste vous glace le sang.
Seul, vous sortez sur le pont désert et vous vous dirigez fébrilement vers la poupe, quand, soudain, l’horreur vous saisit. Devant vous, à quelques encablures, se tient droit, majestueux et immobile, un iceberg que le navire ne peut plus éviter et dans lequel son étrave fière va s’encastrer de plein fouet.
Vous avez compris qu’il est trop tard. L’impétueux navire sur lequel vous vous êtes embarqué a, depuis le départ, pris la mauvaise direction.
Le lendemain matin, la nouvelle terrifiante du naufrage de l’Éphésus crépite dans tous les téléscripteurs de l’Univers. Seulement dix pour cent des passagers ont survécu à la catastrophe, et seulement quelques membres de l’équipage.
**************
Note:
(*) Éphésus est l’une des 7 Parties Cosmiques de la Création (Apocalypse II; 1-7).
Cela résume bien la vie de la majorité, ou du moins, la vie des mieux lotis…
C’est l’artificialité illusoire de « mammon », celle dans laquelle nous nous complaisons, tout comme des plantes sous serre.
Quand tout est calme pour nous, voir trop calme, soyons sur nos gardes, car, sans nous en rendre compte, nous pouvons être en train de couler, ou tout du moins perdre pied spirituellement.
C’est cette paresse spirituelle qui nous empêche d’être lucides à notre sujet; heureusement
la Lumière sait nous amener des expériences pour nous réveiller.
Soyons reconnaissants pour le mal qu’elle se donne pour nous maintenir un tant soit peu éveillés.
Et que notre bon vouloir ne faiblisse pas à cette fin!